En corollaire de notre article, S. Ketoff a bien voulu donner son opinion sur l’orientation de l’architecture et de son enseignement en Italie. L’ARCHITECTURE ET L’INTELLECTUALISME EN ITALIE. L’instinct qui pousse les Latins à la décou-verte de nouveaux emplois de matériaux pour une utilisation universelle est inné chez les Italiens. Encore faut-il que l’esprit soit dégagé de tous préjugés pour pouvoir créer dans l’en-thousiasme. Ce n’est pas sans une certaine gêne que _l’ai vu se multiplier à Rome des tendances plus ou moins baroques donnant naissance à des constructions plus compliquées que néces-saire. J’ai eu l’impression que, voulant se sur-passer, les jeunes architectes tombent ainsi malencontreusement dans un climat de polé-miques. La franchise du porte-à-faux de la gare de Rome, l’élan de la voûte créée par Nervi pour le Palais des Automobiles à Turin, qui ont coupé le souffle à tous les étrangers, sont souvent passés sous silence en Italie, où on cherche à y découvrir des défauts. Certes, il y en a, mais ce qui importe, c’est d’avoir vu grand et d’avoir su exprimer une person-nalité. Quelle que soit la base de départ de l’ar-chitecture (connaissances techniques, emploi d’un matériau, sens de l’organisation), seul compte le résultat. La fraîcheur de la compo-sition, l’absence de toute systématisation, le sens de la mesure typique du caractère ita-lien, se heurtent aujourd’hui à des théories qui se prétendent d’avant-garde mais freinent le plus souvent l’effort spontané de création. Du côté des jeunes, la recherche est pour-suivie avec courage et honnêteté, les discus-sions sont passionnantes, les projets intelli-gents, mais trop souvent tout cela aboutit à une froideur et une complaisance formelle qui nous font regretter les années 50-60. Je suis resté très perplexe devant l’impor-tance qu’on donne à des articles qui, tout en embrouillant les idées au lieu de les rendre plus claires, étonnent également par leur tour-nure linguistique. Il me semble impossible que le langage architectural soit devenu tout à coup si compliqué. Ce malheur n’est pas seu-lement italien, on le retrouve aussi, -très ré-pandu, à l’étranger. Ces articles sont souvent hermétiques et deviennent des exercices de style littéraire qui n’ont rien à voir avec la réalité architecturale. La critique est indispensable, encore faut-il qu’elle soit rigoureusement constructive dans le sens étymologique du mot et n’esquive pas le fond du problème par une adroite tournure de phrase. J’ai l’impression que ce climat d’intellectua-lisme forcé, qui a contaminé les facultés d’architecture, provoque, chez les jeunes étu-diants, confusion et incertitude. Le rôle de professeur à l’Université est de découvrir les dispositions naturelles des jeu-nes et de leur donner les moyens de concré-tiser leurs idées, sans détruire leur person-nalité, mais en les libérant, au contraire, de tout complexe. En fin de compte, le but de l’architecture est de construire pour répondre, avec les moyens intellectuels, techniques et d’organi-sation de l’époque, aux exigences de la collec-Studio Passarelli. Immeuble d’habitations et de bureaux à Rome (1964). par Serge Ketoff tivité. La culture est indispensable à une vision globale du problème, et il faut savoir opérer la synthèse nécessaire. L’oeuvre architecturale comme le produit in-dustriel est la résultante d’une infinité de connaissances et non pas du seul hasard et de la seule sensibilité. Il faut, dès l’école, créer une osmose entre les différentes discipli-nes pour pouvoir les utiliser à leur juste valeur dans leur ensemble. Cette tâche, très difficile en elle-même, est entravée par des tendances polémiques qui risquent de la faire dévier vers un formalisme désordonné, au lieu de l’orienter vers une re-cherche pratique, devenue indispensable de nos jours. Le même état d’esprit se retrouve à l’étranger. Dans 50 ans, le nombre d’habitants sur la terre aura doublé, le besoin de bâti-ments suivra. L’industrie en marche va fatale-ment, avec toute sa puissance, s’emparer de l’habitat. La recherche se fera sur des fac-teurs réels pour répondre aux besoins fonda-mentaux de l’homme. Tout formalisme, toute improvisation, tout romantisme artisanal seront mis hors jeu par des exigences impératives : production quanti-tative et qualitative au service de l’organisa-tion de la vie de l’homme. Cela se fera avec ou sans architectes. L’étudiant doit être mis en contact direct avec toutes les formes de l’évolution pour trouver des solutions réalistes et valables et ne pas rester un théoricien impuissant devant la complexité et l’étendue des problèmes. S. K. Photo P. Goulet