Sur la scène du théâtre de l’Alliance Française, Jacques Polieri pré-sentait récemment les oeuvres de trois jeunes auteurs : Jean-Pierre Faye, Fernando Arrabal et Jean Thibaudeau. Cette soirée était, en quelque sorte, l’avant-première de la représentation des mêmes oeuvres, dans la même mise en scène, au Festival International du Théâtre d’Avant-Garde de Bruxelles. En effet, ce spectacle avait été choisi pour constituer la parti-cipation française à cette manifestation. Cependant, quel que soit le succès qu’il remporta en Belgique, ïl faut bien convenir qu’à Paris, ce spectacle fut loin de recueillir l’adhésion sans réserve du public. Les opinions et les conceptions de Jacques Polieri, metteur en scène, dans le domaine de la scénographie, sont connues : intégration des arts plastiques (peinture, sculpture, architecture) au spectacle dramatique, élaboration d’une nou-velle syntaxe scénique, mobilisation de tous les éléments du spectacle dramatique, etc. Il s’agit en somme d’une entreprise de totalisation senso-rielle. Jacques Polieri s’en est d’ailleurs expliqué lui-même à maintes reprises dans différents numéros de « La Revue Théâtrale «, Aujour-DOcor d’après Mondrian. d’hui », etc. Cependant, à trop vouloir se priver, dans ses travaux, du support que constitue le texte, le metteur en scène s’expose à quelques déboires. Certes, il lui arrive de combler visuellement et auditivement les désirs du spectateur, mais, trop souvent, les appétits intellectuels de ce dernier restent sur leur faim. D’où un certain engourdissement de l’attention et un ennui même, que les trouvailles de présentation ne compensent que faiblement. Nous sommes loin du spectacle Jean Tardieu que le même animateur monta, voici un an, sur la même scène. La première pièce, un acte de Jean-Pierre Faye intitulé « Le Centre », est la plus « littéraire » des trois. Cela, au surplus, ne veut pas dire que ce soit la meilleure. Le « sujet n, en effet, en est particulièrement mince et pompier. On peut le résumer de la manière suivante : Dans la civilisation contemporaine, l’accé-lération des processus de production industrielle appauvrit la nature de l’homme sur les plans affectif et mental en le transformant en robot. H n’existe certainement pas de thème plus propice à l’éclosion spontanée des pires lieux communs. Pourquoi pas le retour à la terre ? ou à l’arti-sanat ? Seule excuse à cette expérience, dont la pensée, par les carac-téristiques de son indigence, rappelle Giono, la jeunesse de son auteur. La seconde partie du spectacle était constituée par « Orchestration théâ-trale n, de Fernando Arrabal. Il s’agissait, du reste, davantage d’images scéniques dues à l’utilisation d’oeuvres de Klee, Delaunay, Mondrian, Calder, etc., que de pièce proprement dite. Si la partition sonore restait excellente de bout en bout, l’animation, par contre, surtout au début, souf-frait de quelques lenteurs. A trop vouloir exploiter toutes les possibilités d’une idée scénique, on en affaiblit le pouvoir d’expression. Quoi qu’il en soit, si le rythme reste précis et généralement juste, l’ensemble s’accom-moderait de quelques coupures et gagnerait à être condensé, resserré. Dans « La Comédie Intrigante n, de Jean Thibaudeau, le texte dit par des acteurs fait sa réapparition. Ironique parfois, il est supporté par des gags gestuels non dépourvus d’humour. Mais là aussi tout est trop long. Des textes poétiques, illustrant des projections de sculptures de Jean Arp et Anton Pevsner, terminent le spectacle. Ils sont de qualité inégale. Cer-tains excellents, d’autres assez plats. La stéréophonie des voix et les pro-jections hors scène constituent de bons éléments scéniques pour retenir l’attention. Dans l’ensemble, le travail signé par Jacques Poliefi témoigne de beaucoup de goût, de désir de recherche et de connaissance. Mais son souci de donner une importance primordiale à la forme de ses spectacles tend à lui faire oublier la nécessité, pour ces derniers, d’offrir un contenu dramatique. Tout nous porte à croire, d’ailleurs, qu’au stade actuel de son évolution, Jacques Polieri considérerait comme gênant tout contenu d’écriture. Espérons, néanmoins, qu’un jour cet animateur mettra ses dons IND d’invention au service d’un texte suffisamment souple pour lui permettre d’exprimer ses conceptions scéniques mais suffisamment dense pour son travail n’ait pas l’air d’un jeu gratuit de l’intelligence. « L’A R T Denys CHEVALIER. DO