De Kandinsky à Dubuffet Montrer de temps à autres certaines oeuvres de Kandinsky — la Galerie Maeght vient de le faire avec bonheur — est excellent. Composé d’oeuvres exécutées entre 1921 et 1927, époque durant laquelle Kandinsky était professeur au célèbre laboratoire artistique du Bauhaus, cet ensemble est un rappel aux artistes de la nouvelle génération ; la preuve que le père de la peinture abstraite contemporaine a ouvert et presque fermé, à lui seul, toutes les portes du géométrisme, du lyrisme, de l’effusionnisme, de la vibration colorée, de la puissance d’extériorisation de l’univers intérieur, sensible, poétique, philosophique, et ce, avec extrême densité et perfection. Sa poétique intérieure, miracle de sensibilité, de connaissance de soi, biologiquement •et intellectuejlement, Kandinsky en effet, l’affirme dans son oeuvre avec une telle densité qu’après lui, seul restait aux artistes le dévelop-pement limité de leur personnalité. Ombres du génie. Kandinsky, novateur, découvrant à presque quarante ans la valeur du signe en soi, cristallisant ainsi les intuitions de Monet et de Van Gogh, et lui faisant exprimer un monde total, se suffisant à lui seul ; homme complet, n’ayant de cesse que d’ordonner ces signes, les enchevêtrant, les combinant, les croisant, recroisant dans une concentration et construction, dense, exemplaire, en des rythmes variés et pleins ; il a su tout combiner, dans des compositions puis-santes, ne laissant jamais, à aucun moment place à la défaillance, exprimant l’équilibre, la fluidité insurpassable d’un monde poétique intense, au-delà de son aspect rigoriste, géométrique, mathématique, sans négliger cette liberté du geste que Klee et lui découvrirent bien avant Pollock ; professeur, il permit aux artistes de prendre conscience de tous les éléments nécessaires à la domi-nation d’un art, leur donnant ainsi la possibilité de trouver leur équilibre tant intellectuel que biologique. Son oeuvre est en même temps révélatrice et libératrice, mais ne laisse aussi presque rien aux autres que la réalisation d’oeuvres de second plan par rapport à l’histoire, pouvant heureusement être de premier ordre par la qualité, la densité et l’humanité ; ou suffisamment attachantes comme par exemple celles des deux artistes argentins : Strocen et Krasuo qui exposent à la Galerie Bellechasse. Leurs moyens d’expression sont diamétralement opposés, mais égaux en force. Bien que Krasno soit assez inégal, son univers est sédui-sant, non par les moyens techniques employés : la matière, ce qui n’est pas nouveau, mais par la force, la poésie émanant d’un monde sauvage, sensuel, dans lequel le graphisme se dissout dans la couleur offrant à la matière toutes possibilités de suggestions, d’explosions ; un monde sourd dans lequel dominent les teintes marrons, bistres, comme une terre aride, insolite, tragique dans ses éclatements, son mystère, parfois adoucis de gris et de beiges, et de reflets permettant le jeu des ombres et des lumières ; une authentique identification du peintre et de la matière dénotant une présence et personnalité réelles. Strocen est plus attiré par la construction graphique, géométrique et donc plus redevable à Kandinsky, mais lui aussi révèle une sensualité dans la couleur, une poésie qui trouve son équilibre dans une certaine élégance rude, pondérée ; si ses rythmes paraissent plus statiques, il obtient néanmoins par son pouvoir d’identification, une poésie mystérieuse soulignée par des passages savants, -translucides, donnant ainsi le sentiment de la lumière et de la profondeur ; une oeuvre chaleureuse comme le soleil qui semble nimber son âme, un monde sensible aimant à se construire, dénotant un assez grand équilibre entre la sensualité des formes, de la vie, et leur compréhension dans le contexte universel. Comme celle aussi, fort différente dans son inspiration, de Gastaud qui, chez Jacques Massol, expose pour la première fois. On ne peut le considérer comme un abstrait au sens strict du terme, restant profondément inspiré par la nature, particulièrement par le monde minéral ; mais il parvient à réaliser avec une belle force lyrique l’intégration de son moi à ces éléments, en y retrouvant ainsi puissance d’envoûtement et sens cosmique ; cette sensation profonde de l’univers Gastaud parvient à la transmettre dans ses oeuvres avec une forte effusion poétique, sens charnel, rudesse, sensibilité, dépouillement, retenue, équilibre et présence. Ses oeuvres sont parfaitement abouties, elles sont sans failles, ni dans la composition remarquablement bien mise en page, ni dans .1a variété des rythmes parfaitement intégrés les uns dans les autres, créant un mouvement intense. Chacune vibre profondément, Gastaud ayant le pouvoir de les « habiter ; aussi aucun sentiment de vide ou de gratuité, une authenticité émouvante, un sérieux, une pondération que nous apprécions fort à une époque où l’on admet un peu trop que toute giclée sur une toile fait un chef-d’oeuvre et que cela suffit pour ‘ être ». Quant à Dubuffet il a toujours tenu dans l’art contemporain une place à part ; capable d’exprimer tout son sens de l’humour, chez Daniel Cordier, en y taisant une exposition au sujet plaisamment intitulé . As-tu cueilli la fleur de barbe », il peut exposer, comme à la Galerie Berggruen, une série extraordinaire de lithographies dans lesquelles il prouve un génie suffisamment exceptionnel pour transmettre à une simple retranscription du sol, poésie et vie intense. Ses lithographies sont tout ce qu’il y a de plus figuratif, n’ayant d’abstrait que l’apparence, mais elles contiennent un sentiment profond d’éternité et de sensa-tion cosmique ; or, Dubuffet est un des rares ayant compris le conseil de Léonard de Vinci, insuffler la vie intérieure au moindre pan de mur, secret que les figuratifs contemporains ont oublié, faisant leurs oeuvres si médiocres. Dubuffet lui, l’a réalisé avec un incontestable génie, accompagné d’une éton-nante science technique, avec un sens de la recréation poétique du réel dont la force explosive est à peu près unique dans notre peinture actuelle ; • les titres admirablement évocateurs donnant toute leur dimension à chaque litho-graphie : Pour rêver, Le fond de la mer, La danse du gaz, Mur mystique… de la série l’Elémentaire ; Château-d’eau, La danse de l’eau, Le mur d’eau… de lu Terre et l’Eau ; d’autres encore comme Le sol céleste, Le sol espiègle, La tenture de pierres ou La nappe léopardée. Aussi est-ce sans réticence que nous regardons ce florilège de Barbes expose à la Galerie Daniel Cordier, car le monde insolite, barbare, expressionniste de Dubuffet, son humour, trouve à s’y exprimer en restant étonnamment plastique. Du sol il a fait exprimer n’importe quoi, y compris des barbes ! Et quels titres ! L’offrande de barbe, La mer de barbe, Barbe d’ormuzo, Carte de barbe, Barbe des combats ou encore la Barbe des supputations rendant si bien la perplexité. Dans un monde qui penche à se prendre trop au sérieux, l’oeuvre de Dubuffet est là, réconfortante et rafraîchissante. (Galeries Maeght, Belle-chasse, Jacques Massol, Daniel Cordier, Berggruen.) H. G.-C. Hollandais d’aujourd’hui Avec intérêt nous suivons régulièrement les efforts de Raymond Creuze pour faire connaître aux Parisiens nombre d’artistes étrangers qui leur sont inconnus, n’ayant jamais exposé dans la capitale. Après un ensemble de peintres d’Athènes, puis de Yougoslavie, de Grande-Bretagne, voici une sélection de peintres hollandais. Exposition intéressante, comprenant un ensemble d’artistes aux qualités généreuses, dénués de mesquinerie, possédant un sens certain de la couleur, de la matière, du souffle, du dynamisme, de la sensualité. Leur erreur est-elle, peut-être, de suivre par trop la démarche si dangereuse de certaines formes d’art actuel, car, ils ne subissent plus l’influence bénéfique de Mondrian, mais celle de Pollock, se complaisant dans un lyrisme expressionniste seulement dû à la liberté du geste ; on connaît cette tendance discutable aux travers des oeuvres de Lataster, Jorn et Appel. Quelques-uns cependant transgressent cette voie et vont heureusement plus loin. Ainsi Jaap Wagemaker, peintre de la matière, à laquelle il intègre des bois brûlés ou des toiles de sacs, comme en témoignent Le monde jaunâtre ou Espace rompu, cette dernière étant peut-être la meilleure des trois oeuvres exposées, car elle possède une grandeur solitaire, un dépouillement puissant, calme et poétique, souligné par un monochromisme gris éclairé seulement de lueurs roses, de reliefs insolites, d’éclatements de matière, et d’un graphisme striant la toile d’arabesques sensibles et raffinées ; une oeuvre que nous aime-rions mieux connaître, comme celle de Gérard Verdijk, lequel montre un sens de la construction graphique parfaitement intégré à la couleur ; toiles solides, équilibrées, gardant néanmoins une certaine liberté dans l’ordonnance ; grands aplats aux éclatements colorés créant vibration et mouvement ; cet artiste possède une richesse de tempérament lui permettant d’aller avec bonheur de la gaité à la tragédie, en passant par l’envoûtement du sang. Enfin W.L. Bou-thoorn montre un beau sens du dynamisme graphique et une certaine rudesse sensuelle, plus particulièrement dans ses gouaches où les arabesques noires encadrent un mouvement chaleureux des couleurs rouges, vertes, jaunes et bleues. La section Gravure comporte plus d’artistes originaux. Nous y retrouvons le jeune Anton Heyboer que nous avions eu la possibilté de découvrir lors de la Biennale de Paris, connaître mieux dans son exposition à la Librairie-Galerie La Hune, et remarquer dernièrement encore au Salon de Mai ; soulignons la finesse originale de son graphisme, son sens de la concentration, sa science des passa-ges des noirs aux gris et aux blancs, la présence d’une personnalité insolite et magique ; nous y découvrons Roger Chailloux à l’étrange surréalisme presque abstrait, au sens subtil des gris et des blancs ; Dick Eiders pour ses clairs-obscurs, son sens totémique comme le révèle Jeu ; Friso Ten Holt à la science sensible du trait, des rythmes, des interprétations bibliques, particulièrement ce Renvoi du Paradis d’une belle envolée lyrique. Enfin citons Harry Disberg et Metten N.T. Koornstra. Par contre en sculpture aucune personalité n’émerge ; l’ensemble révélant surtout les influences soit de Germaine Richier, soit de Gonzales, César ou Kenneth Armitage ; des oeuvres mineures qui ne manquent pas néanmoins d’une certaine noblesse. (Galerie Raymond Creuze.) H. G.-C. Penalba L’oeuvre sculptée de Penalba révèle une présence calme, discrète, dont nous aimons l’aspect poétique et humain. La densité robuste, faite de lyrisme sauvage, sensuel, de son oeuvre, prouve combien l’artiste aime physiquement la matière, la vie, la nature. Masses s’équilibrant dans de grandes architectures ramassées sur elles-mêmes, aux étranges blocs de pierres se développant vers le ciel comme la Cathédrale ou la Forêt noire dans une harmonie puissante ; évidence d’un authentique talent sachant transmettre la vie réelle, profonde, à la matière sans un soupçon de cérébralité ; c’est un univers faisant corps avec l’esprit, la sensibilité, le sens charnel, créant une présence équilibrée, éclatante, au travers du jeu des lumières, des ombres et des masses, déterminant une magie mysté-rieuse et insolite. Une remarquable exposition. (Galerie Claude Bernard.) H. G.-C. Krasno. Composition. Musée de Pontoise. Strocen. Peinture. Gastaud. « Strilizia ». Photo J. S■Uissol. 77111,117311