Opus 12 . 1952. Victor Servranckx et Paul Joostens ou la liberté de métamorphose par Jacques Lacomblez le al le Joostens. Collage. 1922 mondes et des êtres caressés par cette sensualité ambiguë du moyen âge, Paul Joostens fait œuvre de foi dans un sanctuaire maudit. Si l’invitation au scandale lancée par Dada a rencontré l’humour natu-rellement agressif d’un peintre héritier de Bosch et de Breughel, l’imagi-nation et la perception du Fantastique qui hantent le poète Joostens ont permis d’innombrables images tragiques où la mort cogne son sceptre aux vitres des hôpitaux et des asiles, où les salles de tourments et les offices noirs sont autant de stations d’une souffrance humaine épongée seulement par la guenille d’une fille de port, consolatrice unique en ce miserere d’artiste. Mais près de la pitié des dévoyées dans les couloirs de l’enfer terrestre gronde la révolte de ce baroque à rebours qui sous les colonnades du Concile de Trente bafouerait évêques repus et représentants en indulgences. Des déchets les plus divers, lambeaux de tissus, torchons usagés, tuyaux de caoutchouc, vignettes délavées, jaillit non seulement le cri de liberté de l’esprit face à une société qui le cerne de toutes parts, mais l’angoisse de l’homme qui cherche sa définition dans un univers d’hypocrisie, de reniements et de tortures. Alors naît, sur une planche vermoulue, parmi les morceaux de ficelle, de toile isolante et d’emballage argenté, quelque pathétique Ecce Homo qui, niant par la grandeur de sa conception spiri-tuelle son apparence même, rejoint les créations dramatiques d’un Grüne-wald, d’un Greco. Par-delà la langue noble et le patois vulgaire, les moyens pauvres et riches, par-delà le beau et le laid, il y a des plaies qui n’arrêtent pas de saigner. Le papier d’étain cache aussi des blessures… Dessins expressionnistes, gravures allégoriques, collages abstraits, objets dada, montages surréalistes, poèmes élégiaques ou grinçants, chaque feuillet du message de Paul Joostens (ce terme traîné dans toutes les ornières reprend ici sa signification et sa charge) recèle un hymne pour l’éternité d’un rêve où la douceur et l’inspiration ont encore le visage de la femme, Vierge des chevaliers errants devenue Fille de joie avec le même regard et la même pitié. Cette reconnaissance de la Femme et de sa puissance poétique, si proche du culte révolutionnaire que lui rendent depuis toujours André Breton et ses compagnons, constitue peut-être l’aspect capital de l’ceuvre du peintre anversois, sa revendication la plus émouvante. Victor Servranckx et Paul Joostens n’ont pas peint leurs toiles en uni-forme ni chaussés de patins, ils ne sentent pas la nécessité d’être cham-pions de judo pour exprimer le monde qui les habite et malgré les visites parfois longues que je leur ai faites, je n’ai découvert aucune couronne carolingienne sur un coussin cramoisi, aucun rhinocéros dans le hall d’entrée ou le corridor ; leurs moyens de séduction mondaine sont donc bien faibles. Mais ce que j’ai vu dans leur atelier, aux murs de leur demeure ou entassée dans chaque coin de chambre c’est une oeuvre énorme, en grande partie inconnue, qui ferait blêmir bien des gloires fabriquées par les entremetteurs et les u caïds = de l’opinion artistique et qui pose le problème éminemment fertile d’une fusion de tendances contradictoires face à une jeune peinture que gangrène l’obsession d’un contenu orgasmique exprimé par le bras plus que par l’esprit. Jacques LACOMBLEZ. Photo Paul Biltebter. FIND ART DOC