Bernard Buffet Ce jeune artiste est certainement la première victime de son succès publi-citaire, qu’Aujourd’hui signalait l’an dernier en le mettant sur le plan des slogans flatteurs : « Portez du blanc r, ou e Les robes blousantes » ! Hélas ! quand si jeune on fait partie du Tout-Paris des vedettes ; quand on est recherché par Françoise Sagan pour son Ballet, par l’éditeur Joseph Foret pour un des livres « les plus chers du monde r, la tête vous tourne et on se croit aussi — pourquoi pas ? — de plain-pied avec Jeanne d’Arc comme avec Brigitte Bardot ! Le succès a monté n la tête de B.B. et il a tenté deux choses défendues. La première, c’est la peinture, zone interdite au graphiste qu’il est. Pour un dèssinateur authentique, sortir du noir, du blanc, du gris et de quelques « terres ri, c’est presque toujours tomber, non dans la couleur, mais dans les baquets de teinture de la polychromie vulgaire ! La seconde chose défendue est la peinture historique. Il faut être un pur pompier, c’est-à-dire un pompier impur, pour oser aujourd’hui cette extravagance dans le déclin, momentané mais réel, de la peinture figurative. Il est insupportable de vivre avec des grandes tartines sempiternelles, à une époque où le pan de verre, transparence ou translucidité, et tous les partis tirés de l’espace, révolutionnent l’architecture. Le temps est passé de ces grandes machines ennuyeuses. Quelle mégalomanie subite a saisi Buffet, avec son trait de dessin gringalet, son fil-à-soi ? lè portant à barbouiller des surf aces énormes, en l’honneur de la Pucelle ? Car c’est de la barbouille affligeante, du cataplasme à la farine de moutarde sur les ciels « historiques » et de la confiture de soleil couchant à la Turner, le pire Turner. Il ne recule pas devant l’alignement nombreux de personnages grandeur nature ou presque ! Malheureusement, ces entassements en rargs d’oignons, qui se voudraient hiératiques, ne sont que grandguignolesques. Une Jeanne d’Arc mécanique, sinistre, pour boy-scouts anglo-saxons repentants, recommence ici une caricature de sa sublime épopée. N’y avait-il pas assez des Bourguignons, des Anglais, des Cauchon ? Buffet l’a fait mourir dans une ignominie de flammes cuites, de feu caramélisé, d’un bel effet de cuisine. Il l’avait fait condamner auparavant par treize juges rouges, sur fond rouge, qui n’étaient que mélo noir. Non seulement la couleur partout est exécrable, mais, partout aussi, on dirait que du fusain déborde les traits, donnant quelque chose de noirâtre à ces impudentes tartines. C’est de la peinture sale. La grande trouvaille paraît être les soleils dont les rayons sont en relief, d’épais rayons d’or, comme des bâtons ! ou bien des soleils concentriques, tels ceux de Robert Delaunay, mais d’un goût affreux. On est indigné, humilié aussi. Comment cette grenouille graphique a-t-elle voulu se faire aussi grosse qu’un peintre d’histoire ? Cela ne vaut même pas le charmant Boutet de Monvel des albums de notre enfance. Quelle effronterie naïve dans cette œuvre prétentieuse ! Buffet a sûrement entendu des voix, niais quelles voix ! (Galerie David-Martin.) P. G. Guy Weelen Guy Weelen s’est mis dans une fâcheuse posture. Critique d’art, on tolérait qu’il fut poète ; comme on admet qu’un peintre soit graveur. Mais voici qu’il saute la barrière, voici qu’il dit : « Et moi aussi je suis peintre. » Et montre ses travaux chez Michel Warren. Les gens n’aiment guère ceux qui ne s’enferment pas dans une spécialité, ceux qui « débordent r. Ils pensent qu’on n’est sérieux qu’à plein temps. En général, un critique fait un mauvais peintre. En principe, il a pourtant tout ce qu’il faut pour bien peindre et d’abord il garde ses distances avec le tableau. Mais le pinceau se venge de la plume ; très vite il tombe des mains de l’apprenti sorcier. Comme il faut bien des exceptions à la règle, Weelen fait l’exception. Ses oeuvres n’ont rien d’élémentaire ou de faussement savant. Elles sont riches, bien animées. Surtout elles conviennent parfaitement à la matière, à la technique de leur exécution. De grands et souples mouvements font vivre un espace qui n’est pas aux dimensions terrestres, mais aux dimen-eions intérieures. Je souhaite qu’il demeure dans sa « fâcheuse posture : poète, peintre, écrivain d’art à la fois. Ne serait-ce que pour troubler ceux qui dressent des murs entre les diverses activités intellectuelles. (Galerie Michel Warren.) Pierre DESCARGUES. Robert et Sonia Delaunay L’exposition des œuvres de Robert et Sonia Delaunay à la Galerie Bing n’est pas seulement l’occasion d’un retour à ce proche passé révolutionnaire pendant lequel les artistes ont eu l’impression d’être des « sentinelles perdues r qui, laissées à elles-mêmes, avaient à réinventer le monde, c’est aussi un prétexte à l’étude d’une œuvre collective. On ne se penche pas sur cet ensemble de dessins et d’aquarelles créés simultanément sans être touché par les accords et les contraires qui s’y révèlent. On dit que Sonia était le catalyseur de Robert, qu’elle l’entraînait jusqu’aux conséquences extrêmes des positions qu’il pouvait prendre, mais qui peut parler du secret de deux êtres 7 Qui saura tire dans leurs oeuvres les moments d’entente et de conflit ? Il y a là des harmonies doublement émou-‘ vantes et par leur beauté en soi et par ce qu’elles suppposent de communion entre les deux artistes. L’un et l’autre, pendant la première guerre mondiale, , ont renoncé à l’aventure abstraite. Dans leur isolement portugais, eux aussi, comme Picasso, comme Léger, ils ont cru que les recherches cubistes et abstraites n’avaient été que des expériences sur lesquelles on pouvait rebâtir la figuration. Les temps de guerre sont décidément ceux où les artistes engran-gent dans leur retraite les découvertes de l’avant-garde et les rapportent à la tradition. N’avons-nous pas vu en 1940 et jusqu’à la Libération une semblable tentative de stabilisation des conquêtes de la paix ? Robert Delaunay reprit le chemin de la peinture pure dès 1930. Sonia Delau-, nay s’occupa beaucoup d’introduire les théories esthétiques d’avant-garde dans la vie quotidienne. Elle ne retrouva la peinture abstraite qu’à l’occasion des grands travaux de l’exposition internationale de 1937. Aujourd’hui elle poursuit son oeuvre : Elle maintient non seulement le nom de Robert Delaunay, mais elle continue de défendre leur conception de l’art. Delaunay en serait-il où elle se trouve aujourd’hui ? C’est la question que l’on se pose au sortir de cette exposition qui est un vivant dialogue de lignes et de couleurs. (Galerie Bing.) Pierre DESCARGUES. Exposition Robert et Sonia Delaunay. Galerie Bing. Photo La fleur de la sculpture moderne Si la vie de critique a souvent ses déceptions, dont la plus constante est certes celle de tomber sur le « navet r à la mode, elle a aussi ses joies, qu’on voudrait moins imprévues. Je flânais rua des Beaux-Arts, de galerie en galerie, faisant presque du porte-à-porte, quand soudain jé me trouve dans une boutique qui n’avait rien de somptuaire comme celles de la rive droite, mais où se pressait autour de moi une statuaire nombreuse et familière, de petit format pour la plupart, ce qui expliquait qu’elle tenait fort bien dans cet espace restreint, l’occupant très heureusement et contribuant à le faire à la fois magni-fique et intime. C’est qu’il y avait là, non seulement des œuvres, toutes de qualité, mais de plus des chefs-d’œuvre. De grands sculpteurs. disparus, comme Duchamp Villon, immortalisé par ce que j’appelle avec humour et vénération le cheval méca-nique du Cubisme ; Brancusi, le génie de la masse, et Gonzalez, le génie du fer forgé ; le grand Henri Laurens, dernier parti, étaient représentés. Mais aussi les grands aînés toujours féconds : Picasso, aussi important comme sculpteur que comme peintre, Marcel Duchamp, Lipchitz, Naum Gabo, Arp, Giacometti, Moore, Calder. Puis la garde montante qu, les suit : Adam et Adams, nullement jumeaux, André Bloc, Chauvin, Gilioli, Jacobsen, Zwobada. Enfin, les jeunes ou ceux qui se sont manifestés le plus récemment : Anthoons, César, Chillida, Delahaye, Dubuffet, Hajdu, Etienne Martin, Muller, Martha Pan, Penalba, Poncet, SchLiffer, Signori, Szabo, et j’en oublie. j’avais l’impression de visiter un Musée, è combien moderne ! de sculpture, beaucoup plus qu’une galerie. Certes, le musée n’est pas complet ; mais il ne prétend pas à ce titre et le local ne permettait pas à M. Haim, son organisateur, de totaliser et de conclure. Ce qu’il a voulu faire, c’est nous présenter un ensemble de sculptures, on vue d’une confrontation des tendances contempo-raines les plus opposées. Et comme il arrive à la Chambre, où les plus fougueux orateurs des partis opposés se retrouvent ensemble à la buvette, on est tout étonné de voir s’accommoder si bien de leur contiguïté : Arp et Etienne Martin, Jacobsen et Chillida, Adam et Dubuffet, André Bloc et César… Contrastes, mais non disparates. Le fait aussi d’avoir placé, dans la même exposition, des artistes déjà entrés dans l’histoire et de tout nouveaux comme Poncet et Delahaye, nous fait présager des expositions consacrées uniquement aux sculpteurs d’aujourd’hui. Car il faut que l’on sache mieux la vitalité de notre sculpture, art onéreux, art courageux. Il faut que les pouvoirs publies, mieux avertis, ne remplacent pas les statues démolies de la dernière guerre par une nouvelle sculpture de cadavres, Brancusi dixit. Le grand public est plus ouvert que sa presse, et les lecteurs d’un grand journal, priés de lui adresser des cartes postales de vacances, ne manquent pas, depuis des années, de choisir celles-ci parmi la statuaire bozarte grotesque, qui déshonore nos places et nos mails. (Galerie Claude-Bernard.) P. G. La fleur du tachisme J’ai eu beaucoup de peine à constater la déconfiture de quelques artistes « informels r qui ont cependant déjà plusieurs années de cimaise. Tapiès, par modestie, ne signe par ses toiles ; il a tort, car on pourrait les prendre pour du Dubuffet plus faible, l’admirable Dubuffet des Portes, par exemple, ou bien a-t-il peur d’être confondu avec son sémillant manager Michel Tapié ? L’expé-rience de Malevitch : carré blanc sur fond blanc, ou celle de Picasso, papier blanc découpé collé sua une feuille blanche de même papier, se transpose ici comme suit : un immense rectangle blanc ; en bas, quatre crottes de mouton pistachues accompagnées de cinq empreintes de pistaches évaporées ; en haut, une salissure. Peinture de berger, peut-être ? Au centre de cette énorme toile immaculée-maculée, quatre petites empreintes encore, de biologie différente d’ail-leurs, plutôt chiures de mouches. La plupart des oeuvres sont de grand format. C’est la marche au néant d’un jeune artiste pourtant Sincère et très doué. Hossiasson, association de ccups de truelle, c’est du Fautrier terne, mal digéré, image déplacée peut-étre ou trop congrue, car nous sommes en plein dans la matière alimentaire ! Ce neintre rivalise avec le pétrin mécanique. Appel hurle de toute sa palette, si bien qu’on ne l’entend plus ! Il rejoint les confitureries d’un peintre bien oublié Turner, pâtissier de soleil couchant. C’est une force qui se galvaude au lieu de se maîtriser. Quant à Serpan, il avait déjà une propension au papier-peint. A présent, ayant fait de grands progrès dans le décoratif, il nous gratifie de caramels brûlés, où il caramélise du sang frais. Parfois des noirs denses sur fond blanc ou vice-versa, travaillés avec art, montrent le talent naturel, chassé par la parade picturale d’avant-garde, à tout prix. (Galerie Stadler.) P. G. Frank Avray Wilson Lui aussi fait partie du clan des couleurs hurlantes. Peut-il y avoir une mesure dans le vrai hurlement ? Ses noirs, ses blancs, ses gris écoutent hurler. Après, peut-être, ils parleront. (Galerie Craven.) P. G. Bemporad Florentin, il est voué au noir et cela ne lui messied pas. Il fait ainsi partie d’une des manifestations tachistes les plus intéressantes, qui tend à faire du tableau un relief. Bemporad, compatriote de Ghiberti, a des réussites sculpta’ picturales. Aujourd’hui, dans son numéro de novembre, a donné une photo de Lucien Hervé : « Empreintes. Indiennes r, dépassant malheureusement Bemporad. (Galerie Iris-Clert.) P. G. Jean Dupuy La peinture de ce jeune artiste est pleine de promesses. Il manie bien la pâte, la fameuse pâte, revenue à la mode pour elle-même, la matière colorée qui est la véritable raison de la peinture et que les abstraits mondrianesques bou-daient par trop. Jean Dupuy la distribue avec une noblesse native, avec largeur et maîtrise. Il en applique l’enduit noir comme en panoplie sur des fonds limités qui l’encadrent et sont traités avec un grand sens de la nuance. Puis il met dans quelques toiles le feu au bitume, risquant le contraste d’un rouge, vrai feu en effet, la technique tachiste utilisée verticalement dessinant l’informel des flam-mes ! On sent que cet artiste va enrichir sa gamme, à la fois avec patience et’ ardeur. Son art a déjà une tenue qui lui permet les hardiesses. (Galerie Arts Graphiques.) P. G. Beyda. Exposition de sculpture. Galerie Claude-Bernard. 1.11.,1, Ilei nehun.