Peinture. Grasse 1941 et Paris 1954. Aujourd’hui où le public se contente des pires ébauches, où les peintres semblent avoir pour seuls dieux le hasard et l’inconscient, où, en un mot, les qualités d’ordre et de construction passent volontiers pour des défauts, la peinture de Magnelli pourrait presque paraître anachronique. Mais, dédaignant les modes et les aventures passagères l’artiste poursuit dans le calme et la réflexion une oeuvre qui, malgré la diversité des formes inventées, frappe par sa prof onde unité et la permanence de la pensée directrice. « Il n’y a pas de bouleversement dans mon oeuvre, me disait-il récemment. Je suis comme un alpiniste accroché à son rocher. » Et c’est effectivement cette impression que l’on ressentait en visitant sa dernière exposition à la Galerie de France. Si les toiles récentes y étaient plus abondantes, l’ensemble présentait une sorte de panorama de dix années de travail. Sauf un de 1938 présenté en rappel, une trentaine de tableaux — accrochés avec beaucoup de goût — donnaient une idée précise des recherches plastiques poursuivies par Magnelli de 1945 à 1955. Ce qui éclate avant tout dans ces oeuvres, c’est la prédominance et la vigueur de la construction. Si Magnelli n’a pas été le seul constructeur de ce demi-siècle, il en aura probablement été un des plus rigoureux. Dans ses toiles, chaque forme participe étroitement à l’architecture de la composition. Son importance et son rôle exact sont patiemment calculés, de sorte que chacune d’elles soit solidaire non seulement des formes adja-centes, mais de chaque forme présente. Il suffisait, pour ne prendre qu’un exemple, de regarder dans les trois compositions de 1955 intitulées « Face au large » (n » 1, 2 et 3) la façon dont chaque forme s’interpénètre avec les éléments contigus et leur donne naissance. Au premier abord. on y voyait une opposition entre les grandes surfaces blanches hachurées de noir et les autres surf aces colorées, mais en examinant un peu attentive-ment le tableau, on s’apercevait que chacune des lignes qui circonscrivent telle surf ace détermine les voisines en se prolongeant, ou bien encore que telle forme qui s’impose à l’attention par sa couleur particulière n’est en réalité que partie d’une autre, plus grande, que divise sa propre archi-tecture intérieure. Il n’y a pas de solution de continuité ; chaque ligne, chaque surface compte. Les cernes eux-mêmes jouent un rôle considérable non seulement en tant que dessin, c’est-à-dire en créant et en affirmant la structure de la composition, mais encore par le jeu de leur propre tonalité en adoucissant certains rapports de couleurs ou, au contraire, en soulignant telle partie importante. Dans ce dernier cas, ils servent véritablement d’appuis aux formes qu’ils régissent. Ils interviennent en outre dans l’expres-sion de l’espace. Si Magnelli se refuse en effet à suggérer le volume, il cherche à créer un sentiment spatial par la superposition de certains plans. Ce sentiment est obtenu, soit par la différence de valeur colorée des sur-faces, soit par le brusque changement de teinte des cernes. Ceux-ci donnent ainsi une sorte d’épaisseur aux formes sans creuser la toile et leurs colo-rations successives, en suggérant des directions opposées, semblent faire avancer ou reculer les plans. Le fond, enfin, n’est pas comme chez beau-coup d’autres peintres un fond indifférencié sur lesquel les formes sont en quelque sorte plaquées. Il est aussi nécessaire et construit que le reste du tableau. Formes et fond se complètent, se construisent mutuellement. Chaque toile constitue donc un univers logique et cohérent d’une rigueur que tem-père pourtant un subtil dosage des éléments. Magnelli, en somme, réalise ce que Kandinsky a tenté, sans y être arrivé, à mon avis, lors de son époque parisienne. Constructeur, Magnelli n’est pas pour autant un froid calculateur. C’est aussi un harmoniste sensible et un coloriste raffiné. Ce florentin sait faire chanter la couleur, mais se complait fort souvent dans de douces harmonies de nuances d’un lyrisme délicat que rehaussent de ces noirs profonds ou de ces blancs lumineux et transparents si caractéristiques de son chroma-tisme. Même lorsqu’il utilise des couleurs vives et opposées, Magnelli ne connaît pas la violence des contrastes d’un Delaunay. Comme sa personne, son art, pour être puissant, est calme, presque serein. Sa nature semble le porter à la méditation plus qu’à l’impétuosité et c’est peut-être la raison de la constance de son esthétique. Cette constance ne signifie d’ailleurs pas stagnation ou uniformité. S’il n’y a pas de tournants brutaux dans l’oeuvre de Magnelli, on peut, malgré tout, distinguer des sortes de « séries » au cours desquelles certaines combinaisons formelles, certains thèmes plastiques se retrouvent plus fré-quemment. Une nouvelle série semble se dessiner en particulier dans les dernières toiles de Magnelli qui ne figuraient pas à sa dernière exposition. Car, tout en restant lui-même, ce peintre sait parfaitement se renouveler. Il est même étonnant qu’au milieu d’un ensemble de toiles aussi proches parentes que celles accrochées à la Galerie de France, le spectateur n’éprouve jamais d’ennui, mais, au contraire, un sentiment de grande variété. Voici qui, mieux qu’aucun autre argument, prouve la riches d’invention de Magnelli (Galerie de France). GUY HABASQUE. FIND ART DOC