rester étrangère aux préoccupations et aux recherches d’Alicia Penalba. N’essayait-elle pas en effet, en assumant complètement la masse, de trouver dans sa profondeur et son obscurité les possibilités plastiques susceptibles de répondre aux ressources infinies que le vide assurait à la sculpture d’un Pevsner. Mais, si elle avait préféré au déploiement trop logique, concerté et défini des oeuvres occidentales, la poésie inexprimable et le mystère cosmique des arts de l’Orient ancien ou de l’Amérique précolombienne, et la formidable poussée vitale des totems de l’Océanie ; si elle avait été sensible à ces voix et avait su comprendre ce que leur message, par delà les paroles exprimées, recélait encore de possibilités inédites ; elle ne s’était pas contentée cependant de renouer avec une tradition oubliée. et n’avait jamais pensé qu’il était possible de résoudre les problèmes plastiques actuels en ressuscitant purement et simplement l’espace inté-rieur de la Mésopotamie et de l’Egypte des premières dynasties. Car, toute entière tournée vers le dedans, la statuaire orientale avait systéma-tiquement ignoré le vide en le traitant en milieu étranger dans lequel elle se situait malgré elle, sans faire le moins du monde corps avec lui. Tandis que la sculpture occidentale en avait fait au contraire l’un des pôles d’attraction et l’un des centres directeurs de toutes ses constructions plas-tiques. Aussi était-il impossible de refuser au vide — au moment même où Pevsner venait de développer les multiples tensions qui en soutenaient et déchiraient la trame — un rôle essentiel dans la nouvelle organisation de l’espace. Si bien que Penalba, tout en essayant de tabler sur toutes les possibilités plastiques de la masse, devait chercher également à mettre au point une utilisation nouvelle du vide qui lui eut permis d’en actualiser les puissances fondamentales — ces deux entreprises étant nécessairement inséparables, puisque l’utilisation nouvelle du vide devait doubler, reprendre et contrebalancer le déploiement de la masse dans son inté-riorité et son autonomie. Mais cette recherche, où se manifestait l’imbrication et la rencontre du problème général de l’art contemporain et de la réponse nécessaire-ment plus restreinte et plus spécifiée qui lui était apportée, était, dans sa conduite et dans sa visée, extrêmement ardue, complexe et délicate. Car la masse, quand on la traitait en tant qu’espace intérieur, ne pouvait évidemment développer thématiquement l’infinité des combinaisons plas-tiques divergentes dont elle portait en elle-même la possibilité, attestant ainsi, par son identité indéfinie, l’indifférenciation première de termes, que leur explicitation rendait mutuellement irréductibles, et dont le jeu et l’inter-férence étaient à la base de toute construction plastique différenciée et explicite. Ce qui lui assurait nécessairement un équilibre et une cohésion dont l’autonomie fermée garantissait la consistance et la stabilité. Tandis que le vide, lorsqu’on renonçait à le traiter comme un milieu inerte dans lequel placer les ensembles massifs ou même les constructions à claire-voie ou comme un réseau organique d’intervalles définis, pour en actualiser au contraire l’élan global, était d’abord un pouvoir indéfini de dissociation, dé diversification et d’éclatement. De sorte que la masse intérieure — expression d’une conception de l’espace à jamais dépassée — devait, semble-t-il, s’opposer par son harmonie essentielle aux tensions et aux discordances qui formaient la trame même du vide. Aussi se trouvait-on engagé dans une impasse dont on ne pouvait sortir qu’en établissant entre le vide et la masse une relation d’interférence et de déséquilibre qui, sans les déterminer l’un par l’autre ni les neutraliser mutuellement, les renvoyait l’un vers l’autre — dans un mouvement de balancement qui, en affirmant les différences pour les confronter l’une à l’autre, laissait s’établir en eux une marge d’inaccomplissement, susceptible seule de leur ouvrir un terrain de rencontre. Car seule l’impossibilité où se trouvait le vide d’accomplir, sur l’opacité étrangère de la masse, son pouvoir de diversification, d’opposition et d’explicitation, pouvait l’amener, en le déta-chant d’elle et en suscitant ainsi un trou dans le réseau infini de ses tensions divergentes, à déplacer vers l’ensemble massif, le centre de gra-vité de leur rapport et à en dessiner du même coup le schéma global. De même, c’était l’incapacité de la masse à neutraliser par sa globalité auto-nome le vide qui l’enveloppait et en suivait les contours, qui parvenait, en introduisant dans sa totalité fermée une marge d’insuffisance, un élé-ment de distance intérieure, à la tourner dans une certaine mesure au moins vers la vacuité insaisissable et irréductiblement étrangère qui circu-lait entre ses parties. Ainsi s’établissait, entre l’extériorité pure du vide et l’obscurité intérieure de la masse, une relation flottante de complémen-tarité et d’inintégrabilité mutuelle, à travers laquelle s’exprimait la dis-cordance fondamentale et l’inadéquation essentielle de l’espace à lui-même. Mais pour cela il fallait que la pénétration du vide rythme le monolithisme de la masse et la scinde en segments respectivement individualisés, mais non entièrement détachés de la continuité du noyau massif — segments qui mutuellement différenciés par leur dimension, leur configuration, et leur position, n’en restaient pas moins équivalents par la présence iden-tique en chacun d’eux de l’unité indéfinie de la masse intérieure. Aussi, était-ce pour exposer le plus complètement possible le bloc massif au vide qui l’entourait, que Penalba avait délibérément choisi le mode de construc-tion verticale. De même, c’était poux assurer une pénétration libre et complète du vide dans l’ensemble massif, qu’elle avait si fortement détaché les parties les unes des autres et les avait disposées en un ordre découpé et selon un plan volontairement irrégulier, dissymétrique et presque désé-quilibré — obtenant souvent, par l’embrouillement parfaitement concerté des différentes formes des effets de forêts et de labyrinthe qui satisfaisaient son exubérance baroque. Assurant l’articulation des parties, par la créa-tion à leur jonction d’une zone d’indétermination qui les maintenait enga-gées l’une dans l’autre en dépit de leur différence, elle parvenait ainsi à opposer la masse à elle-même sans cependant en détruire l’unité et la continuité essentielle. Ce qui permettait au vide de faire irruption dans l’oeuvre sans pour cela en déterminer la structure massive ni aliéner son originalité propre. Car un traitement particulier des contours réussissait à le rendre perceptible en lui-même par sa mise en contact avec l’opacité fermée de la masse, tout en le maintenant dans son altérité et son indé-pendance flottante. Absolument irréductible à tout jeu défini de plans entrecoupés, et enfermant ainsi les différentes formes dans leur continuité et leur iden-tité massive, le contour en effet ne constituait jamais un système abso-lument fermé de courbes se prolongeant les unes dans les autres et suggérait ainsi, sans d’ailleurs les actualiser jamais, toute une série de plans qui offraient au vide une prise modeste mais effective. Si bien qu’il oscillait entre plusieurs types de configuration, et nouait par son indé-termination la relation ambiguë et flottante qui liait l’un à l’autre la masse et le vide dans un déséquilibre et une altérité mutuelles. Avec ses oeuvres étranges, trouées de lumière et comme tourmentées et tordues par une furieuse poussée vitale, Pénalba avait donc réussi à rendre à la masse une importance et une ampleur qu’elle avait perdue depuis long-temps et à utiliser le vide sans en trahir les puissances fondamentales — établissant entre eux une tension et une discordance à travers les-quelles s’exprimait l’inadéquation essentielle de l’espace à lui-même. Et cela elle y était parvenue en assumant de plus en plus complètement son tempérament propre jusque dans ses contradictions mêmes. Car le lyrisme hérissé et la rigueur secrète mais effective de ses sculptures, jaillies droites dans le vide, manifestaient toujours l’opposition et l’équilib; d’une vitalité anarchique et baroque et d’une exigence classique c construction et d’harmonie. Ce qui montre assez l’importance et la quali de l’oeuvre de cet artiste. Charles DELLOYE. FIND ART DOC