Charchoune Venu à Paris dès l’âge de vingt-quatre ans, ce natif des alentours de Samara a toujours travaillé en solitaire, sauf pendant le bref laps de temps où il participa à l’aventure Dada et publia quelques poèmes qui apparaissent aujour-d’hui comme le commentaire légitime de la joie de vivre et de créer, de l’humour qui est toujours entré dans ses compositions picturales. L’actuelle exposition est en ce sens une affirmation. De 1912 à 1920, les salons accrochent de lui des toiles qui avouent une influence cubiste. Après avoir traversé Dada comme l’éclair, il vient à la source d’inspiration qui deviendra essentielle, la musique, qui nous vaut les plus belles toiles de ces dernières années : qu’il s’agisse de la structure post-cubiste d’un « Wagner s, du jeu de touches d’un « clavecin s où l’on retrouve une poétique à la Klee. Tantôt haut en couleur, tantôt sombre et mystique comme dans « Le De Profundis de Lalande s, Charchoune est toujours éloigné des excès et du systématisme de ce qu’on a nommé le « musicalisme s. Simplement, en impressionniste abstrait, il traduit sur la toile les impressions de joie ou de douleur que son âme slave a ressenti à l’audition d’une oeuvre musicale. Cette peinture pure n’a rien à voir, comme certains l’ont dit par erreur avec le symbolisme : c’est une transcription plastique de sentiments et de pensées, étrangère à toute littérature, mais dans laquelle il n’est pas difficile de perce-voir une sorte d’idéalisme néo-romantique, une haute idée de la Beauté-, une recherche d’ordre et de sublime qui, pour s’effectuer dans une direction diffé-rente de celle de grands créateurs mûs, comme l’est Charchoune, par des pen-sées théosophiques — Mondrian, Kandinsky — (et ayant aussi une ligne esthé-tique précise), n’en est pas moins à considérer. Signalons cependant une parti-cularité qui définit l’humanisme de Charchoune et la qualité murale de ses oeuvres : il s’attache plus au vivable qu’au valable, ce qui fait sa forcé auprès d’un public sensible à sa mélodie et sa faiblesse auprès des techni-ciens qui discutent, hors du domaine de la sensibilité, de la rigueur de son orches-tration. (Galerie J.-C. de Chaudun.) Jean CATHELIN. Hisao Domoto Les problèmes, les angoisses et les ambiguïtés qui assaillent en ce moment les artistes de la jeune génération se manifestent avec vigueur et clarté dans les oeuvres de Hisao Domoto qu’expose en ce moment la Galerie Stadler. Ce jeune peintre japonais vit avec force et lucidité la rencontre, le conflit et la destruction mutuelle de deux cultures, de deux traditions plastiques, également riches, également complètes et totalement inconciliables. A travers la disloca-tion de _tout cadre traditionnel, de tout ordre plastique cohérent, sa peinture, par-delà le simple nihilisme, poursuit l’exploration d’un domaine plastique plus profond et plus originel que les systèmes spatiaux axés sur l’organicité et sur la cohérence formelle, et en tous cas absolument différent d’eux. Ouvert par la mise en question qui mine en ce moment le monde de la culture comme le monde tout court, ce domaine manifeste dans l’ordre de l’espace l’envers positif et le fondement essentiel de’ cette interrogation destructrice. C’est pourquoi l’oeuvre de Domoto a beau nous venir d’un horizon qui nous reste étranger elle ne nous atteint pas moins personnellement et sans détours. Elle affronte non seulement le problème central de toute la peinture actuelle : cette interro-gation sur l’origine et la possibilité des bases de toute organisation spatiale qui disloque avec la notion même d’un espace cohérent et organiquement auto-nome l’unité des deux dimensions de la surface plane. Mais elle donne à une question commune à toute une génération une réponse absolument personnelle qui porte trmoignage de la force d’invention et de l’originalité d’un artiste véritable. Cette originalité ne se déploie pas seulement dans la richesse et la variété des moyens d’expression. Elle s’affirme bien plus avec leur intégration mutuelle qui, les faisant surgir les uns des autres, les soumet tous à la libre unité d’une nécessité intérieure. La parfaite transposition dans la technique européenne de l’huile d’un jeu de transparence hérité de la peinture japonaise traditionnelle qui introduit, les unes au coeur des autres, des couleurs pourtant distinctes ne donne pas seulement à ses toiles un accent auquel ne nous a pas habitués la plastique occidentale. Détruisant la couleur en tant que surface colorée opposée à d’autres surfaces colorées selon un jeu défini suggérant la profondeur, ce processus soutient une décentration de la composition d’ensemble qui, commune à beaucoup de peintres de la jeune génération, interdit aux diffé-rentes combinaisons plastiques de se concentrer et de s’organiser autour d’un centre de concordance défini. Mais surtout ces transparences font obstacles à une trop grande densité dans la concentration des couleurs et évitent ainsi que la décentration soit neutralisée par l’uniformité de l’intensité chromatique. Con-trebalancés par des empâtements qui, subtilement dosés et limités à certaines parties de ]’oeuvre, reprennent en relief le travail de destruction de la surface ces processus permettent le passage continuel et sans coupure de la concentra-tion des couleurs au vide chromatique, de l’association tendue des bleus, des mauves, des noirs et des verts foncés à un blanc légèrement relevé de gris bleuté. Cet art des ruptures et des passages est absolument caractéristique de la peinture de Damoto. Il lui donne une austérité, un sérieux et une pro-fondeur secrète qui d’abord déroutent mais finissent par convaincre. Aussi, l’exposition présente nous fait-elle assister au développement et à l’affirmation progressive d’un message et d’une personnalité artistique absolument originale. (Galerie Stadler.) Charles DELLOYE. Hisao Domoto. Peinture, 1957. É D a. 0 os 0 CC 0 1 aD Ct. t CS ux W ni