1908 MALEVITCH 1909 Rencontre avec Malevitch dans la Russie d’après 1917 par Antoine Pevsner Nous remercions les Musées Municipaux d’Amster-dam et particulièrement leur directeur, M. W. Sandberg, pour la documentation photographique qu’il a bien voulu mettre à notre disposition. (0 N C o o C C o> .c o C 0 C, 0 .; âA fl0 A.1-6 rod o 76.0 Q E–T) es o 1910 Dès mon retour en Russie, en pleine crise révolutionnaire, je fus nommé professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Moscou. Je participais immédiatement à ces débats féconds et passionnés qui, dans cette école, mettaient aux prises tous les artistes, élèves et professeurs. C’était alors le temps du désarroi et de l’anarchie. L’un de ces professeurs m’impressionna parti-culièrement : Malevitch. Dès notre première rencontre nous sympathisâmes et malgré une profonde différence dans nos conceptions nous devînmes très vite des amis. Avant 1917 je n’avais jamais eu l’occasion de le rencontrer. Cet homme étonnant, en dépit des circonstances défavorables, livrait pour l’Art un combat farouche, solitaire et acharné. Il s’était lancé dans la bataille spiri-tuelle la plus singulière : il voulait l’abstraction absolue, mêlant le nihilisme et la métaphysique à l’anticonformisme pictural. Dans les discussions avec ses adversaires — Tatlin et quelques autres — il se montrait antimaté-rialiste, anticonformiste et protestait sans cesse contre l’utilitarisme et les plaidoyers dogmatico-rationnalistes en faveur de l’art appliqué. J’étais alors entièrement d’accord avec Malevitch. Pas plus que lui je ne pouvais accepter leur idéologie ni l’interprétation du constructivisme dont ils se faisaient les apôtres. Il est vrai que je ne partageais pas non plus la ,‹ philosophie » de Malevitch et son idée du suprématisme. Je n’ai d’ailleurs jamais voulu entrer en controverses avec lui sur ces sujets ; et je pense que loin de l’irriter contre moi cela lui donnait au contraire grande confiance en mon amitié. Nous connaissions tous l’influence considérable qu’avait exercée sur Malevitch le Cubisme et le Futurisme ; et les quelques tableaux de lui que j’avais eu l’occasion de voir avant la révolution d’octobre la manifestaient avec évidence. Aussi au début de notre amitié n’ai-je pas entièrement déchiffré ses tableaux suprématistes. Il en fut ainsi jusqu’en 1919 où l’occasion me fut donnée de voir un ensemble important de ses oeuvres les plus récentes et d’en parler franchement et amicalement avec lui : lui disant ce que je pensais de ses peintures sans parler de ses théories et de son idéologie. En cette année 1919, l’anarchie, la détresse et la famine étaient hallu-cinantes. Ce fut là l’hiver le plus terrible. Les rues de Moscou, bloquées par des montagnes de neige, étaient pleines de cadavres de chevaux et d’animaux divers sur lesquels s’acharnaient les chiens affamés. La vie des artistes, surtout celle des professeurs à l’Ecole des Beaux-Arts, était encore supportable. Mais nous étions moralement écrasés par la détresse de nos amis et de toute la population. Bien entendu, il n’était plus possible de s’adonner entièrement à l’Art. Il n’était pas question non plus de visiter les ateliers des artistes. Ils étaient sans chauffage, couverts de glace et le bois manquait tellement que les meubles et tout ce qui pouvait être brûlé avait été consumé dans les poêles. Les misères de ce temps n’empêchèrent pourtant pas les artistes de s’organiser, et la vie artistique reprit peu à peu son cours. Après d’ora-geuses discussions dans les ateliers de l’Ecole des Beaux-Arts, Kandinsky, Malevitch et moi décidâmes d’organiser une exposition de nos oeuvres au Musée Alexandre-III dont nous avions obtenu la plus grande salle. Cette pièce immense, aux vitres et aux murs couverts de givre, ressemblait plus à un désert glacé qu’à un lieu d’exposition. L’humidité en rendait l’atmosphère irrespirable. Le petit poêle en tôle où, pour avoir un peu de chaleur, l’on brûlait toutes sortes de déchets, ne parvenait guère, pieuvre aux longues tentacules de fumées noires, à réchauffer cet air glacial. C’est dans ce cadre sinistre que j’eus la joie de voir réunis quelques-uns des chef-d’ceuvres de Malevitch. Devant ses toiles suprématistes, je déchiffrais enfin son âme troublée et troublante et découvris en lui un être frêle et tourmenté à la sensibilité frémissante et dont la bonté touchait à la tendresse. A dire rrai je f rs surpris de trouver en cet homme une nature dont je n’avais ;an, s-qu’alors pleinement compris l’existence. Son carré noir sur f’ d me montrait un très grand et très authentique artiste ; ce mem(