QUAND LES CRITIQUES D’ART… SE CRITIQUENT , A la suite de la publication dans notre dernier numéro (N » 13, juin « 1957, page 30) de l’article de Léon Degand : « Pour une révision des valeurs, Défenseurs de l’art abstrait, n’aggravez pas la confusion », Monsieur André Bloc a reçu de Monsieur Michel Seuphor, la lettre suivante accom-pagnée d’un texte dont il demande la publication. Nous lui donnons satisfaction et permettons également à Degand, mis en cause, de faire connaître son point de vue. Cher Monsieur, Vous avez accordé à mon Dictionnaire de la Peinture abstraite l’article que je vous ai en vain demandé, au cours des années, pour mon Art Abstrait. Cet article étant une démolition en règle de l’ouvrage, je ne doute pas que vous me permettiez d’y répondre dans les pages de votre revue avec la même liberté que vous avez laissée à Degand. En raison de précédents fâcheux dans d’autres revues et gazettes, je suis obligé de vous prier de laisser mon texte intact et intégral. Veuillez agréer, cher Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments. SEUPHOR. Réponse à Degand Je crois que l’on peut se dispenser de répondre au dénigrement systé-matique. Il porte trop visiblement la marque de son affectivité pour abuser qui que ce soit. Mais l’attaque de grand style dont j’ai été l’objet de la part de Degand dans le n° 13 d’Aujourd’hui, à propos de mon Dictionnaire de la peinture abstraite, peut fournir l’occasion d’utiles remarques. En premier lieu concernant l’esprit et la méthode de Degand même. L’esprit est celui de l’ignorance volontaire de l’esprit et tout d’abord de son premier attribut : la politesse. La méthode est celle du coup de boutoir. Degand fait de la critique d’art à la façon du taureau qui fonce sur tout ce qu’il voit et pour lequel la règle du jeu est de planter sa corne dans l’obstacle. C’est proprement nietzschéen (mais sans la substance poétique de l’oeuvre de Nietzsche) : La volonté de puissance ou comment on fait de la critique d’art à coup de marteau. Il suffit pour s’en convaincre de lire, dans le même numéro d’Aujourd’hui, comment Degand exécute Zao-Wou-Ki en trois lignes ou avec quel sommaire argument il détruit une toile surprenante de Vasarely. Mais il a mieux fait, naguère, avec Sou-lages et beaucoup mieux encore avec Tobey. Ce fut peut-être, dans ce dernier cas, la plus expéditive exécution capitale que l’histoire de l’art ait connue. D’un seul mot, comme un couperet glacial qui tombe droit, il se débarrasse de ce gêneur insolite, venu d’Amérique, lorsqu’il expose pur la première fois à Paris : Tobey, rien. L’idéal de Degand, inscrit dans tout son comportement, est d’assommer la moitié du monde et de réduire l’autre moitié à l’état de vassalité. On l’a surnommé le pape de l’art abstrait. C’est absurde. Mais ce faux pape rêve d’être dictateur. Comme tous les gens de cette espèce il est insensible à l’amitié qu’on lui offre, à la politesse qu’on lui témoigne et il ne ménage définitivement — mais alors au point de renoncer à tout sens critique — que les trois ou quatre personnes qui le cautionnent et, de la sorte, servent ses ambitions. Les apparences bravaches, ici encore, re-couvrent une certaine misère. Car la violence de Degand, son débit préci-Réponse de Degand à Seuphor Les deux textes que l’on vient de lire ne sont pas des pastiches, dus à la plume de quelque ennemi de Seuphor. Ils sont bien de Seuphor lui-même. L’auteur qui, dans la lettre à André Bloc, avoue ingénument que, pen-dant cinq ans (je précise), il n’a cessé d’impérieusement demander que l’on parle dans Art d’Aujourd’hui de l’un de ses livres (alors que ce livre avait paru un an avant le premier numéro d’Art d’Aujourd’hui et, au demeurant, que le service de ce livre n’avait été fait à aucun des rédac-teurs de cette revue), cet auteur si exigeant en matière de publicité par la critique, c’est bien Seuphor. Et c’est bien Seuphor aussi qui tient tellement à la publication d’une diatribe (Réponse à Degand) où, pourtant, il a tracé son propre portrait avec la plus naïve des cruautés. Je relis la prose vengeresse de Seuphor. A entendre cet esprit pondéré, j’aurais manqué à tous mes devoirs, à ceux de la politesse et de l’amitié, je jouerais au dictateur, je ne ménagerais que des artistes qui servent mes ambitions, etc. En d’autres termes, le cher Seuphor a perdu la tête. Il se croit victime d’une odieuse agression. Et pourquoi suffoque-t-il? Tout simplement parce que, trouvant que son Dictionnaire de la peinture pité et quelque peu haletant, ne sont que des caricatures de la force qui lui fait défaut. La vraie force est calme, la vraie puissance est lente, me-surée. La carence, on le sait, cause une irritation qui se fuit dans la surenchère. L’esprit totalitaire, foncièrement antidémocrate de notre critique, montre une nouvelle fois le bout de l’oreille lorsqu’il dénie au spectateur tout jugement de valeur. Si j’ai à peine effleuré ce thème dans mon livre, c’est qu’il me semblait qu’il allait de soi que le spectateur est le seul juge souverain, que sa sensibilité d’homme de son temps est co-créatrice de l’oeuvre par l’admiration spontanée qu’il lui dispense. Il n’en est rien pour Degand qui tient à tout prix à être le directeur des consciences. On serait alors en droit de demander s’il possède à un certain degré la vertu de prudence. Mais ses imprudences sont innombrables. Lorsque d’un mot bref il liquide Tobey sans s’informer au préalable du passé de ce peintre, de l’influence qu’il exerça et qu’il exerce encore en Amérique, le jugement de Degand, avec toute l’autorité dont il se pare — dont on le pare — n’est pas inférieur en précipitation, en insolence superficielle à celui du plus vulgaire péquenot. Ce dernier a au moins l’excuse de son ignorance. Le critique d’art, lui, arrive devant l’oeuvre armé de ses bagages intellectuels, de ses principes, de ses dogmes sacro-saints et c’est en leur nom qu’il condamne ce qu’il ne comprend pas, démontrant à chaque coup la suffisance et l’insuffisance de celui qui, en face de l’art, s’érige en juge alors qu’il s’agit de sentir, de s’ouvrir à la communication secrète, de co-créer. Enfin, un dernier mot sur l’agnosticisme radical de Degand qui prétend appréhender l’oeuvre selon les seules données physico-chimiques et se gausse de toute pensée philosophique. Le critique, ici, fait bon marché de l’homme qui est présent dans l’ceuvre non seulement avec ses pro-blèmes plastiques mais encore, à travers eux, avec son sens poétique. avec sa culture ou son inculture, avec sa sensibilité humaine, sa complexité morale et spirituelle, voire ses interrogations métaphysiques. Il s’agit de l’expression de l’homme complet, en art abstrait ‘plus qu’en tout autre. La pensée matérialiste de tout un siècle n’a pas réussi à amputer l’homme de la donnée métaphysique, ce n’est pas Degand tout seul qui y réussira en une époque où la science elle-même a pris conscience du mystère. Bref, l’académisme professoral de Degand est en retard d’une bonne génération sur les idées. Et comment en serait-il autrement, l’autoritaire ne reçoit aucune information, n’écoute que lui-même, s’enivre de s’entendre. L’inconvénient d’une telle situation est que l’homme s’aperçoit un jour qu’il est seul, qu’il doit se contenter de vivre avec lui-même, avec sa propre rugosité, sa propre impolitesse, confiné dans une atmosphère surtendue où manque totalement l’humour. Je souhaite à Degand de s’en sortir avant que l’asphyxie ne soit complète. Je lui tendrai volontiers la main. Michel SEUPHOR. abstraite est un livre plein d’erreur et de confusion, j’ai osé le dire dans le n° 13 d’Aujourd’hui, sans détour, en plus de 150 lignes, avec toutes les précisions désirables. On s’imaginera peut-être, à entendre Seuphor, que je lui en veux personnellement, que je n’obéis qu’à des sentiments peu avouables à son égard et qu’il a fini par se lâcher à la n » » de mes persécutions. Or, j’ai toujours émis des jugements très favorables sur les ouvrages de Seuphor et sur ses dessins. Et, d’ailleurs dans ce même n° 13 d’Aujourd’hui, on peut lire, sous ma signature, un article d’éloges sur le Mondrian de ce même Seuphor. De quoi, bien entendu, en toute objectivité bien comprise, Seuphor ne souffle mot. Je crains que Seuphor ne tolère la critique que dans l’éloge. Je constaterai, enfin, que de mes nombreuses critiques adressées à son Dictionnaire, Seuphor n’en a retenu que deux. Aux autres et, en parti-culier, à la confusion dont je l’accuse entre la peinture figurative et la peinture abstraite, Seuphor ne répond strictement rien. Je suis assez tenté d’en conclure que Seuphor les estime, lui aussi, justifiées. Léon DEGAND. CLERMONT-FERRAND. Galerie a Une nouvelle galerie d’art vient d’être créée à Clermont-Ferrand, 7, rue du Terrail. Réalisée par A. Le Breton, elle se propose d’exposer tour à tour les meilleurs représentants des différentes tendances de l’art actuel. Inaugurée par une exposition de peintures et dessins de Jean Leppien, cette galerie présentera également jusqu’au 12 septembre sous le titre : 16 peintres de l’Ecole de Paris, une exposition organisée avec le concours de la Galerie La Roue, de la Galerie de France et de la Galerie Claude Bernard de Paris et réunissant les noms de Mar-tin Barré, Childs, Corneille, Dahmen, Don Fink, Dumitresco, Istrati, Kawun, Kreutz, Levée, Maria Manton, Mari aing, Maryan, Paoli, M. Pouget, Su. La Galerie présente en permanence les ceuv de P. Gastaud, A. Le Breton, J. Mégard (c miques), P. Revel, P. Saby-Viricel. FIND ART DOC