N•, 613. Peinture 1935. KANDINSKY par Jo Delahaut. L’exposition qui réunit les 45 toiles de Kandinsky provenant du S.R. Guggenheim Museum de New-York a un double mérite : d’abord celui de présenter plusieurs oeuvres importantes par leurs qualités intrinsèques, ensuite de donner un raccourci qui n’exclut pas les nuances de l’une des aventures picturales les plus passionnantes de l’époque contemporaine. Dès la première esquisse datée de 1903 et ‘ exécutée à Amsterdam par un jeune peintre de 37 ans, à cette composition épurée, un peu distante et cependant pleine d’humour qu’il peignit à Neuilly tout à la fin de sa vie, on peut suivre à travers des oeuvres de qualité toute l’évolution s’étalant sur quarante années de peinture d’un artiste qui eut le rare privilège d’allier subtilement l’intelligence, la lucidité à cette intuition sans laquelle en art rien ne peut naître : une voyance poétique qui participe du génie. Séduit dès le départ par le lyrisme débridé de l’expression fauve, Kandinsky traduit en généreuses touches de couleurs et en harmonies audacieuses un dynamisme qui, pour prendre le réel comme objet ne tarde pas à le transcender pour répondre à un besoin intense de créa-tion et d’exaltation. Paysages, compositions, scènes de la vie familière (comme ces étonnantes « crinolines » de 1909) ne sont que points de départ de rythmes plastiques, d’orchestration de formes et de couleurs qui tiennent plus de l’explosion affective que de l’observation contrôlée. Période fertile en découvertes, riche en bouillonnements intérieurs. Ensuite, le passage. Ici quelques toiles judicieusement choisies des années 10-12 permettent de participer à cet évériement décisif : l’abandon concerté de l’apparence et la constitution d’un vocabulaire pictural débar-rassé de ses servitudes envers le réel. Exploration bouleversante d’un 16 monde inconnu qui devait amener Kandinsky — et à sa suite les géné-rations qui succédèrent, — à renouveler tout le langage plastique et à reconsidérer tous les problèmes de l’espace, de la perspective ; de la représentation. Période que désormais on pourra mieux connaître par le don Gabrielle Münter à la « Stadtische Galerie » de Munich. Et enfin l’introduction progressive des figures géométriques. Mais là encore, bien des problèmes restent posés à l’historien de l’art, que l’expo-sition de Bruxelles ne peut que suggérer. D’où vient cette transformation qui raidit des formes auparavant si libres, ce besoin de précision des lignes, cette tendance inattendue vers la géométrie ? D’où viennent ces assemblages que l’on retrouve parfois chez Miro, chez Klee ou qui font penser au Codex Maya ? Comment s’est constitué ce vocabulaire que chaque œuvre enrichissait, et qui aujourd’hui nous apparaît comme un fond commun dans lequel tous les artistes abstraits ont puisé et exploitent encore largement de nos jours ? Bien des confrontations devront être faites si l’on veut rendre à chacun le mérite de son apport, de sa trouvaille. Peut-être est-il trop tôt pour soulever de pareilles questions que le temps éclaircira. Et enfin la question capitale dont la seule formulation ne manquera pas de faire frémir les admirateurs fervents de Kandinsky : Kandinsky est-il vraiment abstrait ? Dans quelle mesure n’a-t-il pas remplacé les éléments réalistes par des éléments géométriques comme le triangle, le carré, le cercle, la ligne, mais traités comme s’il s’agissait d’objets ayant opacité ou volume ? Certes, les textes de Kandinsky disent claire-ment son désir d’éliminer l’objet, mais y est-il vraiment parvenu ? Jusqu’où ce précurseur génial a-t-il réalisé une intention qui, à ene saule, était capable de révolutionner l’art de peindre ? Jo I TL. lile: LIT