Les expositions à Paris Cinquante ans de peinture abstraite Cette exposition internationale a été organisée à l’occasion de la parution du Dictionnaire de la Peinture abstraite de Seuphor. Que l’on imagine, dans la cave, sans grande hauteur de plafond, d’un grand immeuble du centre de Paris, parmi les tuyaux de décharge, les conduites de l’eau, du gaz et de l’électricité et les boyaux du chauffage central, des locaux dépourvus de tout plan apparemment logique et aménagés en galerie d’art. Dans cette cave, plus de 400 tableaux accrochés, à raison de deux en hauteur et rangés au coude-à-coude tout le long des murs, et résumant toute la peinture abstraite depuis qu’elle existe en tant qu’art d’expression ! Ce sont de ces épreuves qui tuent infailliblement le spectateur attentif, fût-il critique d’art, s’il consent à exa-miner les oeuvres une à une. Bien entendu, des oeuvres véritablement figuratives se sont glissées dans le nombre. Bien entendu aussi, les démonstrations de masse ne signifient rien, et la quantité n’est jamais une preuve de qualité. Il n’en reste pas moins que la peinture abstraite apporte ici la preuve de l’inépuisable variété d’inspiration et d’expression que tant de ses adversaires refusent encore de lui reconnaître. (Galerie Creuze.) Vuillard, Bonnard, Roussel L. D. Cette Ires charmante exposition de petits formats, en même temps qu’elle nous dispense les délices les plus délicates et les plus rares, rappelle la dette énorme et secrète de toute la peinture moderne au Nabisme. Secrète, car les Nabis, en dépit des célèbres articles de Maurice Denis, ne se sont que très mal occupés de leur publicité, et leur gloire posthume est avant tout d’ordre personnel et ne touche guère à l’étape considérable qu’ils accomplirent sur le chemin de l’autonomie des arts plastiques. On n’oubliera pas davantage que ces peintres, qui savaient se montrer inti-mistes dans de délicieux tableaux de chevalet, avaient, du moins quand ils s’appelaient Bonnard ou Vuillard, un goût très poussé pour l’art mural — qu’ils partageaient, d’ailleurs, avec leur contemporain et ami, Toulouse-Lautrec. Vuillard a laissé de splendides panneaux monumentaux et Bonnard est l’auteur de quel-ques affiches qui demeurent, aujourd’hui encore, après tant de bouleversements esthétiques et un développement exacerbé du rôle de la couleur vive et crue, de précieux modèles du genre. (Galerie Huguette Bérès.) Bonnard. Paysage du Canet. ,26 Lanskoy L. D. XIII° Salon de Mai Ce dernier Salon de Mai souffre tout d’abord des outrages dont les locaux du Musée d’Art Moderne de Paris gratifient toutes les expositions qui s’y abritent (façon de parler, car les cascades involontaires y arrosent la peinture). Dans ces lieux prématurément délabrés, Poussiéreux, privés de tout entretien ménager, entre ces murs décourageants et sous ces verrières qu’encombre une crasse qui ne partira qu’avec les vitres qui la soutiennent, comment donner au spectateur le moindre appétit d’art ? Les organisateurs méritent donc, de ce fait, le bénéfice de circonstances atténuantes. Mais n’en abusent-ils pas ? Leur accrochage, par exemple, est-il heureux ? Est-il vraiment utile de mélanger un peu toutes les tendances, au lieu de donner nettement à chacune son maximum d’expression en rassemblant ses membres ? On dira aussi que le Salon de Mai vieillit, qu’il vieillit mal, que la cama-raderie y exerce des ravages en dépit d’un renouvellement partiel du Comité, que tout salon doit forcément se corrompre à la longue, et tout cela n’est pas faux. Mais il est vrai surtout que le Salon de Mai, par la laideur repous-sante des locaux, ses erreurs d’accrochage et les espoirs déçus que nous laisse le souvenir de ses jeunes années, manifeste, encore plus violemment que d’autres salons, l’affreuse médiocrité moyenne d’un art pratiqué par des médiocres de plus en plus nombreux. Par acquit de conscience, signalons quelques sourires plastiques, apparus, comme par erreur, parmi toute cette confusion. Un Huguette Bertrand plus pro-metteur que jamais. Un Collignon discret et subtil. Un Devrolle de premier ordre, très personnel, tout en ocres et terres avec des blancs gris, à la fois mat et d’un éclat de coquillage. Un Falchi sensible et ordonné. Un Herbin brutalement chaotique à dessein. Un Mucha très heureusement dépouillé. Un Bram Van Velde sauvage. Un Geer Van Velde pourvu de tous les raffinements de la civilisation. Chez les sculpteurs, un hommage à Brancusi et un très beau Chauvin, Le printemps (Musée d’Art Moderne). 6otz L. D. Gotz possède le sens des surfaces. Il y respire immédiatement et pleinement selon les mesures particulières que chacune lui impose. Il y prend son élan avec une enviable aisance. Et c’est, je pense, cet aspect de son tempérament qui confère à toutes ses oeuvres un premier abord si satisfaisant. Mais il est dommage que G8tz soit trop souvent acquis à une calligraphie un peu trop complaisante et qui lui altère le meilleur de ses moyens d’expression. (Galerie Daniel Cordier.) L. D. Baraine. Mars, le Torrent -. 1956 L’attitude de Lanskoy ne fut jamais militante et même, en dehors da lui, son oeuvre ne fut jamais utilisée à des fins de propagande en faveur d’une esthétique dont il fut longtemps l’un des rares représentants. La peinture de Lanskoy marque pourtant les débuts de ce qu’on appelle aujourd’hui le tachisme. Pendant des années Lanskoy prospecta les possibilités d’un art abstrait qui ne dût rien aux formes strictement délimitées, aux couleurs posées en aplats rigoureux. Lanskoy ne se donnait pas pour un « constructeur i, non qu’il dédaignât les grands formats, mais il les traitait sans songer à des utilisations architecturales possibles. De lourdes épaisseurs de pâte s’étalaient en moirures d’une étrange saveur, subtiles et s’unissant les unes aux autres par des passages » habilement agencés, presque invisib lez. à force de naturel dans le discours pictural. Mais, au rebours du tachisme d’aujourd’hui, Lanskoy ne manquait jamais de composer ses tableaux, avec la rigueur spontanée et dis-crète d’un Bonnard — dont il est, sur quelques très rares points, une sorte de parent lointain. Il faudrait souligner, enfin, l’importance, qui ne date pas d’aujourd’hui, de Lanskoy comme auteur de gouaches et de dessins d’une personnalité très ai fir-niée, et regretter que l’on ne connaisse pas encore les tapisseries qu’il fait exécuter depuis quelques années. L’exposition personnelle de la Galerie Louis Carré nous apporte les derniers états de la pensée picturale de Lanskoy. Les formes sont devenues beaucoup plus distinctes. Les moirures ont disparu, la couleur a gagné en simplicité. Les parfums lourds ont fait place à des fraîcheurs printanières. Mais la compo-sition, pour s’être considérablement allégée, n’en garde pas moins une prédi-lection pour les complexités rythmiques, admirablement conduites, d’ailleurs, pour les maquis touffus où il est si agréable de se perdre après avoir apprécié l’ordonnance des routes et des sentiers. Les toiles dominantes de cette exposition sont celles, de la veine de certains des grands dessins d’autrefois, où Lanskoy se limite à des gris de toutes valeurs et des blancs et se livre à ce lyrisme franc et retenu qui constitue l’une des caractéristiques de sa belle personnalité. (Galerie Louis Carré.) L. D. Balla Lanskoy. « Orage accepte . 1956 Balla n’est guère connu en France et trop oublié en Italie. Mais on aurait tort d’en accuser nos contemporains. Balla, aujourd’hui âgé de 86 ans, vit à Horne dans une retraite que ne lui imposent pas seulement les nécessités de son grand âge, mais aussi de graves abandons de l’idéal de sa jeunesse, et que troublent de temps à autre des curieux impénitents, avides de retrouver tout ce qui concourut à l’élaboration de l’art d’aujourd’hui. L’exposition de la Galerie des Cahiers d’Art (Zervos) est donc de la plus grande utilité, en même temps qu’elle rend justice à un authentique précurseur. Futuriste de la première heure et initiateur de ses camarades de combat à la peinture moderne de l’époque à Paris (le néo-impressionnisme), Giacomo Balla fut aussi l’un des découvreurs de la peinture abstraite, et c’est sur cet aspect de son oeuvre que l’actuelle exposition insiste grâce à des peintures datant de 1912 à 1928. A vrai dire, l’intérêt est plus documentaire qu’émouvant. On devine l’origi-nalité, la puissance de l’idée de départ ; on vibre peu à l’examen de l’expres-sion que Balla en a tirée. On constate souvent plus de stylisation que de création. Il n’empêche que tout cela devait nous être montré. (Galerie Cahiers d’Art.) L. D. Calliyannis Parmi tant de jeunes « abstraits • dont on nous vante l’ardeur libératrice et anticonstructive et dont finalement se découvrent les intentions figuratives et tout bonnement paysagistes, voici Manolis Calliyannis. Si. au lieu de pratiquer la peinture par larges touches librement rectangulaires, souvenir de la facture de de Staël, ce peintre décrivait ses cyprès et ses paysages de soleil par de petites touches plus sagement alignées, on jurerait avoir aff nost-impressionniste de la lignée d’Henri-Martin ou Le Sidaner. Dubourg.) Photo Galerie Louis FIND ART DOC