Hier – Aujourd’hui – Demain -A Hais, là encore, nous avons assez vécu pour savoir… B Comment l’avenir décrira le présent ? A Parfaitement. Nous avons assez vécu pour savoir qu’il y a dans le temps présent des grandeurs cachées qui n’apparaîtront à la pleine lumière que plus tard. Il y a autour de nous, dans notre voisinage immédiat, des petits peintres qui seront jugés grands, des énormes qui seront diminuas de moitié, des inconnus qui ne seront pas oubliés, des courages qui porteront leurs fruits, des puissances secrètes que tout le monde verra. La mul-tiformité de l’art abstrait est une pépinière de graines. Les graines se ressemblent toutes, c’est seulement de leurs vertus intérieures qu’il dépend que telle sera un arbre, telle autre un chétif arbuste, telle autre encore une herbe rare. L’art abstrait est la conquête de soi, et soi c’est un monde, c’est l’univers sans fin. Si l’artiste sait ce qu’il sait, tient ce qu’il tient, veut ce qu’il veut, est ce qu’il est, peu importe qu’il soit discret ou arriviste, modeste ou vaniteux, pauvre ou riche, son ceuvre contient alors une force de persuasion qui imposera demain, même si aujourd’hui elle laisse le monde indifferent. Etre, cela comprend tous les possibles. B Mais paraître est d’un rendement plus probable. Les jeunes d’aujourd’hui savent que la publicité paie. A Dans l’immédiat, sans aucun doute. Mais les grandes affiches sont vite couvertes par d’autres grandes affiches. B Il y a des artistes qui sont doués pour la publicité, ils inventent de nouvelles affiches toute leur vie. 20 Kandinsky. « Improvisation 7 1910. N C) E Brancusi. A Et pourquoi cela ne serait-il pas un art aussi, l’expression d’un caractère ? B Nous voilà loin de vos vertus cachées. A Même dans l’art méprisé de la publicité, il peut y avoir des vertus cachées. B Je serais plutôt tenté d’apparenter la publicité à cette « petite vertu » très agressive qui est l’art du trottoir. De la poudre aux yeux, mon cher, un marché de dupe ! A Je vous l’accorde. Mais les vraies dupes sont ceux qui ont peur de l’être. En matière d’art, allons simplement partout où notre amour nous porte, et nous ne serons jamais trompés. L’amour de l’art est la seule chose qui compte à la fin. Mais voilà, il faut l’avoir en soi et savoir le servir. Le servir avec audace et avec finesse. On peut être sans peur et circonspect, volontaire et cependant prudent. Mais c’est toujours dans l’amour que réside le plus solide gage d’avenir, j’entends dans le désintéressement pur. L’avenir de l’art, c’est l’enfant de l’amour d’aujourd’hui. Et peu me chaud que sa mère soit une roulure ou une dame de grande vertu. Michel SEUPHOR. (Ce texte, traduit en anglais, sert de préface à The Art édité par Wittenborn, New York, en avril 1957, à l’o dème anniversaire de l’Association des Artistes Abstraits