Salon des Arts Ménagers La Maison Japonaise En 1930, MM. Sakakura et Maekawa, jeunes archi-tectes japonais, épris de connaissances occidentales, venaient en stage chez Le Corbusier, à Paris, pôle d’attraction de tous les jeunes du monde : tous y apportaient le meilleur de leur pays, de leurs cou-tumes, de leur foi en l’avenir. Et c’est ainsi que, dans cette pépinière, devaient naître les liens d’une incroyable fidélité qui me conduisirent au Japon (comme conseillère pour l’art industriel auprès du Ministère du Commerce et de l’Industrie Japonais). Sori Yanagi, étudiant à l’époque, m’accompagna dans tous mes déplacements autant pour me faire comprendre le Japon que pour sentir lui-même mes réactions d’occidentale. Au cours de cette mission, les grands magasins Takashimaya de Tokyo et d’Osaka devaient réaliser une exposition « Tradition, sélection, création », résultat de ma mission. Il y a deux ans je retournai au Japon pour pré, sentez., dans le cadre de l’accord culturel franco-japonais, une exposition française . Proposition d’une nouvelle synthèse des arts », groupant Le Corbusier, Léger et moi-même. Je repris conctact avec les meil-leurs de mes camarades japonais. Il y a deux ans également Ren Suzuki, élève de Maekawa, renouvelait la tradition de venir en France étudier l’architecture moderne occidentale. Cette année, grâce à Paul Breton, commissaire au Salon des Arts Ménagers, nous avons eu la chance unique de pouvoir réaliser et présenter une manifes-tation japonaise, la première d’après-guerre, sous la forme d’une maison japonaise, sélection opérée au Japon par les grands magasins Takashimaya, en col-laboration avec Junzo Sakakura et Sori Yanagi. Qu’est cette maison du Japon ? Et pourquoi avons-nous cru utile de la présenter en France ? Loin de nous l’idée de sombrer dans le folklore japonais et l’esprit de Mme Butterfly : tout pourtant aurait pu conduire à nous faire tomber dans ce piège séduisant teinté d’exotisme. Nous n’avons pas présenté une maison japonaise, si parfaite soit-elle, à son point de cristallisation. Mais nous avons montré les éléments qui restent facteurs de progrès pour nos deux civilisations. Il s’agit, en architecture, des éléments normalisés et parfaitement modulés de toute demeure traditionnelle japonaise, à la ville et à la campagne, sans discri-mination sociale. Ce sont les Fusuma, portes-cloisons coulissantes, bois et papier, les Shoji, fenêtres coulissantes, bois, glace et papier, et les Tatami, modules du sol, élé-ments souples composés de paille de riz compressée, recouverte de natte. Ces éléments sont fabriqués par des artisans très spécialisés et vendus au public dans chaque quartier de ville ou de village : ce que n’a pas encore réalisé notre architecture moderne, qui tout en parlant d’in-dustrialisation du bâtiment n’a pas fait l’unité ni entre les architectes, ni entre les architectes et l’in-dustrie, pour un public épris du désir de se différen-cier du voisin. Cependant qu’y a-t-il de plus raffiné, de plus humain, de plus tranquillisant qu’une maison japo-naise ? Elle est souple, elle permet, au cours de la journée, et des saisons, des changements appropriés, variant ses perspectives. Elle n’est pas refermée sur elle-même, mais s’ouvre vers l’espace : ses habi-tants ne peuvent qu’hériter de ses qualités. Les éléments essentiels mobiles de la maison japo-naise sont traduisibles à l’usage plus brutal de la civilisation occidentale d’aujourd’hui, çrâce à l’em-ploi de certains matériaux modernes, à condition que soit respecté l’esprit de leur conception (modulation, normalisation, légèreté). Voici pour l’architecture. Concernant l’objet usuel, cette maison montre d’au-tres « formes utiles » conditionnées par des coutumes, et des gestes et des techniques qui ne sont pas lest nôtres. Ils ont été choisis parmi les objets usuels les plus populaires. Présentés dans le cadre des élé-rnenrs normalisés de l’architecture, ils suggèrent une harmonie dans l’habitation traditionnelle toute tour-née vers la détente. Mais n’oublions pas que le japon traverse une grande crise d’adaptation au monde moderne qui peut balayer toutes ses conceptions. La nécessité économique lui fait produire des buildings, des usines, des objets essentiellement inspirés de l’Occident et qui s’infiltrent doucement dans le cadre de la vie japonais. Ce pays vit aujourd’hui écartelé entre l’ap-port de deux civilisations contradictoires, mais c’est là peut-être que la chaîne de nos amitiés peut appor-ter la solution humaine à ces problèmes. Charlotte PERRIAND. 92 FIND ART DOC