38 La photographie : moyen d’expression d’un ceil et la vue de deux yeux. Il paraît peut-être superflu de dire une chose si évidente que « tout le monde sait déjà ». Mais en réalité, la plupart des gens n’en ont pas conscience. La difficulté consiste à obtenir un résultat qui corresponde au sujet tel qu’on l’a vu soi-même. En vérité, il n’est pas du tout facile d’arriver à une ressemblance entre ce qu’on voit avec ses yeux et ce qu’on voit sur une photo. Quant à moi, mon ambition, en tant que photographe, consiste à donner aux formes et aux lignes naturelles leur expression graphique la plus prononcée pos-sible. Dans l’art photographique il faut toujours compter avec un certain degré d’abstraction, parce que la lentille et l’émulsion sur les pelli-cules ne peuvent enregistrer que l’espace et les textures tels que la lumière les conditionne. La photo-graphie d’une sculpture montre bien cette limitation. La pellicule ne peut enregistrer qu’une part infime de l’impression reçue par les sens. Les pellicules pour photos en couleurs me paraissent pour le mo-ment être un médium photographi-que bien incomplet. Elles donnent des résultats trop imprécis et peu sûrs. Il n’est pas possible de tra-vailler en couleurs aussi bien qu’en blanc et noir. (Il serait intéressant de pouvoir modifier le registre des couleurs à l’aide des changements dans les combinaisons chimiques des bains de développement.) Il existe plusieurs manières de développer une pellicule en blanc et noir permettant des variations quant à la reproduction des images ; on travaille presque aussi librement qu’en imprimant une plaque graphi-que, par exemple, en aquatinta. Le format même joue un rôle dé-cisif pour l’effet, comme en ce qui concerne la peinture et les représen-tations graphiques. A de rares excep-tions près, j’obtiens personnellement les meilleurs résultats avec un for-mat de 40 X 50 cm, ou même un peu plus grand. Les photos présentées ici ne peu-vent être que des reproductions quelque chose d’essentiel se perd quand le format est changé, aussi bien quand il s’agit de photos que quand il s’agit de tableaux. Dans les premiers temps de la photographie, beaucoup de photo-graphes cherchaient à imiter la peinture romantique. Pareille ambi-tion est actuellement aussi insoute-nable et aussi vaine que le serait le désir de faire d’une photo une pein-ture abstraite. J’ai pris ces photos et d’autres parce que je connais bien la côte du Vestfold, parce que les prendre me faisait plaisir, pour mettre au point pour moi-même les possibilités et les limites de la photo par rap-port à la peinture, et, enfin, pour établir des « archives » des formes de la nature qui font appel à mon imagination. Mes peintures sont abs-traites, mais la source de mon ins-piration se trouve principalement dans mes impressions visuelles et je trouve aussi souvent dans une photo que dans une étude directe de la nature un élément qui m’incite à peindre. Cari NESJAR. (Traduction de J.-S. Martens.)