ÉPINE ET MUR, 1946, HUILE – COLL. LEICESTER GALLERIES, LONDRES Moore évoluent sans cesse. Ils ont échappé à l’analyse destructive, à ce classement cérébral de bon aloi où, neutralisé, tout rentre dans l’ordre comme les tableaux dans les musées d’autrefois, les corps dans les cimetières. Ces deux caryatides, le sculpteur et le peintre, écartant le poids d’un siècle qui ignora la pensée plastique depuis Blake, Turner et Constable, abritent déjà toute une pléiade de jeunes créateurs. C’est ainsi que pour conserver une telle victoire l’oeuvre de Sutherland devait, avant tout, tenir debout, non seulement pour soutenir un mur au sens plastique du mot, mais pour détruire les fortifications d’un monde stérile. Bélier et muraille en même temps : voici la force et la raison d’être de cette peinture dans une société aimablement indifférente au jeu. Cet homme raffiné, courtois, épicurien, comme le plus élégant des gentils-hommes élizabéthains, possède comme eux la virilité de l’homme d’action. C’est dans le huis-clos de son atelier que s’opère la transmutation en force de la Nature, et le « Mr. Hyde » inspiré crée des oeuvres éclatantes de dyna-misme magique. Par la tension des nerfs prêts à se rompre, le cri strident des couleurs aiguës, des formes endolories d’épines, Sutherland cherche à vaincre plutôt qu’à convaincre. Sa couleur à la fois mélodie et rythme damné, percé de sifflements aigus, atteint à une neuve pureté, encore plus spirituelle que plastique, plus mentale par sa lucidité que sensuelle par sa richesse instinctive. L’âme du peintre croit à la purification par la blessure cuisante des chairs 38