Mais mon trouble fut bien plus grand lorsqu’en sortant d’un coin pous, siéreux, il me montra un masque qu’il avait modelé quarante années avant ma naissance et qui était mon visage. Il me pria de revenir le lendemain. Pendant neuf années, je revins en effet. Maillol naquit en 1861 à Banyuls,sur,Mer, petit port antique méditer, ranéen, où son père tenait un négoce. Il fut élevé par une tante qui le chérissait; elle lui permit plus tard de faire ses études d’art à Paris, en lui donnant quelques piècesd’or(vingt,cinq francs par mois environ), un sac de figues séchées, un pot de résiné et sa bénédiction. Maillol garda toute sa vie l’amour du sol; il conserva la maison natale, que l’on nomme dans le pays la «Maison Rose »,ses terres, et ses vignes. Son nom en langue d’oc, signifie « jeune pousse de vigne ». L’été, il vivait à Marly,le,Roi, et passait le reste de l’année à Banyuls. Ce n’est qu’à la déclaration de la dernière guerre qu’ il s’y fixa définitivement. A la fin de sa vie, il chercha la solitude, et même Banyuls lui semblait trop agité. Il se retira, tel un anachorète, dans une terre à quelques kilomètres du village où il avait une maison; c’était la Métairie. La route qui mène à la Métairie, je l’ai parcourue tant et tant de fois, souvent pieds nus, pour le plaisir de fouler la poussière chaude. Elle était située aux pieds des Albères et semblait vêtue de vignes, parfumée aux senteurs sauvages de la contrée. Selon les saisons, verdoyante ou sévère, avec seulement la tache d’un amandier en fleurs, mais toujours agréable, poudreuse et ensoleillée. Après quelques kilomètres de marche on découvrait sa retraite. Dans une vallée virgilienne, au bord d’un ruisseau, la maison rustique à flanc de colline était ombragée de cyprès et de vignes entourés de figuiers. Là vivait Maillol, retiré du monde, observant les rites et coutumes antiques que l’on respecte encore dans cette vallée, où l’hospitalité est un devoir sacré, où le voyageur solitaire est interpellé, accueilli et traité à la table des métayers. Maillol travaillait d’une manière bien à lui, sans principes arrêtés ;1′ intuition seule semblait le guider. Ainsi, il commença l’« Harmonie » par un pied, et la figure monta, telle une plante. Sans littérature, sans aucun artifice, son oeuvre est silencieuse. Elle atteint la perfection. Ses sculptures sont formées par une multitude de dessins et d’études, mais plus encore par la vie qui anime les formes immobiles, comparables aux sculptures des grandes époques. Il était difficile, exigeant, il détruisait sans cesse pour recréer, et cherchait sa satisfaction sous tous les angles. Le soir, après une journée de travail, il restait souvent assis sur le seuil. A ma question : « A quoi songez vous, voulez vous un livre ? » il répondait invariablement: «J’écoute pousser les plantes. C’est là un ouvrage incompa, rable ». Et de ses mains sereines, il caressait les tiges des figuiers. Il lisait pourtant beaucoup. Il avait une profonde culture. Outre Aristophane, Virgile, Cervantès, il goûtait les poètes: Ronsard, du Bellay, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont. Sa dernière passion fut le Journal de Gide. Ma rage de lire, n’importe où et n’importe comment, l’agaçait. Il me disait: « Avant d’engager un autre modèle, je lui demanderai s’il sait lire». Souvent je l’accon’, pagnais en montagne. A quatre,vingts ans, il fit avec moi une promenade de plus de dix kilomètres jusqu’en Espagne. Maillol me fitsentir la beauté de sa province. Et maintenant qu’il n’est plus, il est à mes yeux indissolublement lié à sa vallée. Pendant les années troubles de la guerre, où tant de jeunes émigraient, son refuge fut plus peuplé qu’à l’ordinaire. De jeunes hommes angoissés cherchant le chemin de la frontière apparaissaient sur les sentiers des chèvres qui lui étaient si familiers. Sur le rebord de sa terrasse, Maillol déposa alors tous les soirs, une cruche de vin et un pain frais noué dans un linge. Dès son réveil le matin, il allait vers la cruche, et quand il voyait son offrande intacte, il était mécontent. Ce jeune homme qui demande son chemin au vieillard portant en guise de chapeau un mouchoir, se doute ‘t’il à quel seigneur il s’adresse? Et cet autre, qui plut à l’artiste et qui, convié à sa table, lui pose poliment des questions sur sa récolte. Cueillant des figues, assis devant sa maison, il était sollicité à chaque instant par les jeunes gens. Au début, il les accompagnait volontiers jusqu’au chemin menant vers la frontière et leur indiquait des raccourcis Ars. Mais au bout de quelque temps, il allait alors quatreeingt,deux ans, ces courses le fatiguèrent. Il me permit de le remplacer car il m’avait appris les chemins cachés de la montagne. Maillol ne s’ intéressait pas à la politique. Mais les moeurs des grenouilles, le chant mélancolique de la huppe, à la saison des amours, le passionnaient. Comme ses amis Ambroise Vollard et Maurice Denis, Aristide Maillol est mort des suites d’un accident de voiture. A Perpignan, en Septembre 1944, Maillol rencontre le Docteur Nicolau et décide avec lui de se rendre chez Raoul Dufy qui résidait alors à Vernet, les’Bains. Sur la route, aux abords de Prades, la voiture dérape. On relève Maillol la mâchoire brisée. Il était âgé de quatre’vingt’trois ans. On le trans’ porte dans une clinique où il supporte des soins qui semblent avoir été douloureux. Il ne parle plus, mais il écrit très lisiblement dans un cahier d’écolier. Il désire se lever, revenir à Banyuls; ce voeu s’accomplira, ses proches le croient guéri. Or, quelques jours après, une crise d’urémie l’emporte.Je puis affirmer que toute autre version de sa mort est inexacte. DINA VIERNY. ARISTIDE MAILLOL I, N1 I I Ii-N11- I< OF, I s 51151E DINA VIERNY PROTOGRAPBIÉE A COTÉ D'UN BRONZE DE MAILLOL , I r k l A 11111 FIND ART DOC