GENÈSE D’UN SIÈGE BUSTE DE LUCIEN ROLLIN PAR CHARLES DESPIAU BUST OF LUCIEN ROLLIN BY CHARLES DESPIAU UNE HEURE AVEC LUCIEN ROLLIN Pendant toute la durée de la guerre et de l’occupation, vous vous êtes tenu à l’écart du mouvement d’art décoratif. Vous avez travaillé dans le silence et dans la solitude et avez consacré une grande partie de votre activité à des re-cherches de formes de sièges. Pouvez-vous nous dire comment envisagez-vous ce problème? Dans le domaine du meuble, il paraît assez aisé de trouver des formes et des proportions nouvelles.Celles-ci peuvent va-rier à l’infini, le meuble allant du plus petit cabinet, jusqu’à l’habillage de la quasi-totalité des murs d’une pièce. Par contre, la création d’un nouveau siège est un problème plus compliqué à résoudre. Les solutions en sont limitées par la destination de la chose : Recevoir le corps humain pour qu’il s’y repose. Un siège doit être, avant tout, un objet pratique et confortable. Son architecture doit être harmonieuse. Sans ces qualités primordiales, le siège ne remplit pas son but. Quelle est la part de la tradition dans vos recherches actuelles? Tenez-vous compte de certains archétypes? Vous en inspirez-vous directement ou indirectement? Mettez-vous à profit la leçon des maîtres ébénistes de jadis ou en faites-vous au contraire table rase? Tenter de dessiner un fauteuil ou une chaise sans avoir étudié la plupart des sièges connus des époques passées et en particulier les merveilleuses réussites du xviie et du xvine siècles, ainsi que du début du siècle dernier est une erreur capitale. Il faut tenir compte des expériences faites par les excellents artisans qui se nomment Jean Avisse, Louis Delannois, Jean Gourdin, Nicolas Quinibert, Follot, J.-B. Til-liard, puis un peu plus tard cette pléïade comprenant les noms fameux de J.-B. Boulard, J.-B. Bernard Demay, Adrien Pierre Dupain, J.-B. Gourdin fils, Lelarge, Claude Étienne Michard, Nadal l’aîné et son fils Louis Mademeine, Georges Jacob et ses fils. Il ne faut pas oublier dans cette citation des principaux créateurs de sièges les noms de l’ébé-niste londonien Thomas Chippendale et du dessinateur Robert Adam. Ce dernier exerça à son tour une influence décisive sur Thomas Sheraton et sur son émule Georges Hepplewhite. De cette étude des formes de sièges des époques historiques, on doit dégager les meilleurs modèles et essayer de déterminer les améliorations qui peuvent être apportées de nos jours. Vous admettez donc la nécessité d’une évolution et d’une adaptation aux besoins nouveaux que crée la vie contempo-raine. Comment les concevez-vous et en quoi doit consister, selon vous, l’apport du siège moderne? Les œuvres de nos illustres devanciers, si elles atteignent un haut degré dé perfection dans la forme et dans les propor-tions, manquent de confort, du moins d’un confort approprié à nos besoins actuels. Vers 1750, les êtres humains s’asseyaient d’une manière dictée par les costumes et par les usages du temps. De nos jours, le corps humain, plus libre, moins guindé, peut aspirer à plus d’aisance. 58 Quelles sont donc en définitive les sources auxquelles vous vous référez et quelle est votre méthode de travail? Sans préconiser le retour à l’antique, je citerai parmi les rares exemples de sièges grecs que nous connaissons, le beau fauteuil de marbre, à pieds en griffes, à dossier rond orné de cols de cygne, qui subsiste au Théâtre de Dionysos à Athènes. Ce siège en coquille peut être considéré comme un modèle du genre. Pourquoi ? Parce que sa forme épouse parfaitement le corps dans la position assise. C’est après avoir vu et étudié ce siège que j’ai imaginé de reconstituer par des moulages du corps de l’homme dans le sable des sièges analogues et j’ai pu relever ainsi des côtes de profondeur et de renvers donnant ce qui me semblait le maximum de confort. ( Je précise que ces côtes varient selon la hauteur comprise entre le fond du siège et le sol. S’il s’agit d’un fauteuil très bas, la profondeur du coussin et le renvers sont plus importants que dans le cas d’une chaise de bureau par exemple). J’ai constaté, en outre, qu’il était indispensable d’avoir le jarret bien soutenu par la devanture du fond du siège pour que la jambe puisse être au repos. Tout siège trop peu profond, qui ne supporte qu’une partie de la cuisse, manque de confort. Pourriez-vous faire en quelques mots le procès du siège moderne et dire quels sont, selon vous, ses principaux défauts? Nos contemporains en appliquant les progrès accomplis par les garnisseurs anglais du xixe siècle, ont cru trop souvent qu’un fauteuil dit confortable devait obligatoirement être énorme. Aussi a-t-on vu une floraison de sièges gigantesques, « profonds comme des tombeaux ». Dans la plupart de ces « confortables », on a omis de tenir compte de l’affaissement du coussin de fond sous le poids du corps. L’usager a ainsi les avant-bras relevés dans une position parfois assez gênante. On ne peut déplacer ces mastodontes sans courir le risque d’abîmer leur couverture et sans se livrer à de véri-tables exercices athlétiques. On doit proscrire de nos inté-rieurs souvent exquis des sièges aussi encombrants et qui rappellent par le laisser-aller qu’ils engendrent, le Tricli-niaris » (lit de table) et le « Lucubratorius » (lit de lecture) de la décadence romaine. Veuillez conclure en nous disant comment procédez-vous pour exécuter un siège ? On ne peut créer un bon siège sans l’avoir étudié sous tous ses angles et dans tous ses plans, en tenant compte des techniques particulières du menuisier en sièges et du tapissier garnisseur. Dans la plupart des cas le dessin grandeur du siège ne suffit pas et il faut recourir au façonnage de maquettes en bois qui sont modelées par le menuisier en sièges sous les yeux de celui qui a conçu et dessiné le fauteuil ou la chaise. Par-fois, il importe de faire garnir les ma-quettes grandeur pour décider si le confort et la forme recherchés seront atteints. Et souvent il importera aussi de brûler cet essai pour ne pas laisser en usage un siège qui ne répondra pas aux exigences de ses éventuels usagers. W. G. SUPPORT D’ACCOU-DOIR. SCULPTURE DE POILLERAT SUPPORT FOR ARM OF CHAIR. SCULPTU-RED BY POILLERAT FAUTEUILS PAR L ARMCHAIRS BY L