Puis, en 1937, il entra en réaction contre lui-même, et abandonnant pour un temps calligraphies et ara-besques, il dirigea son effort vers les effets de verticales. Il fut en cela conduit par le désir de faire servir la fabrication industrielle à des fins esthétiques. Il dessina des modèles d’éléments en série, dont le mon-tage facile et précis, aboutit à des formes d’art. Le ballustre tourné à l’atelier joue, dans l’intervention des possibilités mécaniques, le rôle du leit-motiv sensible. Ainsi se trouvait résolu un problème moderne de la ferronnerie par l’accord des trois facteurs : économie, rapidité d’exécution, élégance plastique. Les années d’occupation imposaient des conditions de prudence. Il convenait de ne pas attirer l’attention d’un contrôle hostile sur un emploi du métal qui n’était pas précisément recommandé. Un travail d’artisanat silencieux commença avec un outillage restreint, un matériau disputé. Les grilles, il n’en était plus question. Restaient les pièces qui se dissimulent dans l’intimité des inté-rieurs particuliers. Et Gilbert Poillerat, animé par la volonté de création, vit devant lui ouvertes les possibi-lités du meuble. Il se mit à l’ouvrage, conçut, exécuta des lustres, des flambeaux, des lanternes, des tables, des guéridons, des sièges, des chenêts, des pentures, voire des maquettes d’enseignes. Il créait, il inventait, les idées se succédaient abondantes. N’est-il pas à son aise où il faut penser métal. Point de considération d’ambiance, de destination, de dimensions qui l’arrêtent. Il met à la disposition de son ouvrage une somme d’érudition et de poésie. Le règne animal, le règne végétal, il les annexe pour y puiser des trésors de modèles qu’il nous restitue sur le mode volontiers réaliste avec des effluves d’idéal. Il existe un soubassement pour une table de Serge Roche qui deviendra mémorable. Ce support représente des bucranes de cerfs ; l’oeuvre qui s’apparente à la sculpture est somptueuse, héroïque, de verve et de qualité si hautes que l’on n’en vit point de semblable depuis quelques siècles. Une autre table montre à ses extrémités les « génies de la forêt » dont les chevelures en feuilles de chêne soutiennent le plateau ; derrière les génies se déroulent de gros chiffons déchirés. L’entrejambe de la table est une composition de couronne de feuilles de chênes entrelacée de serpents. Les éléments marins entrent dans le répertoire du ferronnier : les coquilles, les poissons monstrueux. e citerai cette console où une coquille centrale s’encadre de dauphins qui crachent des buissons d ‘algues. !- Ailleurs, le métal s’organise en souples drape-ries, ou encore en cartouches et en cuirs, ainsi que primitivement les modelèrent dans le stuck Rosso et le Primatice. Après la libération, Poillerat reprit le travail des grilles. Il établit une série de projets d’une légèreté ex-quise. On y voit des trophées, des crânes de cerfs, des serpents, des lances, des oiseaux, des urnes, des cors de chasse, des flèches, des sa-bres, des hallebardes. C’est là qu’ap-parut un oiseau rare, huppé, fin, 44 Ab& fier, spirituel, digne descendant des emblèmes de la Renaissance et qui me parait symboliser le génie de Gilbert Poillerat. Tous ces éléments composent une admirable illustra-tion de fer. Il est d’autres projets pour des portes en bronze, d’une apparence martiale, massive, qui exposent des boucliers et des cou-ronnes de lauriers. Mais notre auteur ne délaisse pas son ample production d’éléments de meubles. C’est avec grande attention qu’il sied de regarder ses pi ètements de tables. La construction en est impeccable. Chaque pied offre un exemple de sculpture archi-tecturale appropriée au meuble. Toutes les pièces savam-ment composées témoignent de la vertu d’un esprit sans cesse empli d’images nombreuses qu’il établit avec un goût précis. La joie des trouvailles variées déferle dans les objets les plus modestes. Il y a des séries de flambeaux, pareils à des bouquets ciselés ; des vases, urnes délicates ; des dossiers de sièges posés comme des cadres précieux, et des « nautilus » montés sur leur support, nous surpren-nent ainsi que des oeuvres de grand prix. Oui, devant l’oeuvre de Poillerat, il est enfin loisible de parler d’imagination efficace. Le talent du dessina-teur, les qualités du technicien ferronnier suivent cette disposition de l’esprit pour permettre de sûrs accomplis-sements. Il suffit de feuilleter ses carnets de dessins où s’accumulent des notations rapides de rêves décoratifs pour affirmer qu’il appartient à la race de ces beaux ornemanistes des grandes époques, qui livraient à un peuple d’artisans des milliers de modèles. Sur ces pages, on observe l’évolution des études de détails en vue de vastes grilles, ou bien des croquis de multiples pièces menues telles que poignées de tiroirs, ou boucles d’oreilles. Il apparaît que l’invention se trouve chez Poillerat tout pareille à une aptitude régulière et vitale. Il rejoint encore les auteurs anciens par une large culture et une vocation rayonnante. Ce ferronnier est également cise-leur. Son oeuvre de médailleur nous importe, où portraits et allégories, venus d’un sens aigu de l’observation, sont parachevés avec un art pur et ferme. Je sais de lui aussi des gravures et des peintures intéressantes. Gilbert Poillerat est un humaniste. Il apporte dans cet ordre de la pensée le caractère français. Jamais le jaillissement de l’inspiration ne s’étendit en ses ou-vrages jusqu’aux degrés de l’emportement. Notre créateur demeure le maitre du merveilleux dont il est habité, et le façonne selon des normes très hu-maines. Il ne se lasse pas d’assigner à ses pro-duits la mesure d’une loi classique, de les entourer d’une grâce, d’un calme, d’une sérénité conformes à sa nature tou-rangelle. En vérité, le critique est heureux lorsqu’après avoir exprimé les mé-rites d’un artiste, il conclut que son sujet transmettra, par son oeu-vre, un aspect du génie de l’époque, à la postérité. C’est la prédiction que j’ai l’honneur de formuler en ce qui concerne Gilbert Poillerat. Marcel ZA HA R