1 A vertu élémentaire qu’une religion exige de ses fidèles. c est la pratique. Pareillement le quiétisme du dilettante ne suffit point à la religion de la musique. Cette collaboration en vue de laquelle j’ai maintes fois préconisé la culture du chant et surtout du chant choral, un de nos plus distingués confrères, M. Vallas, directeur de la Revue Musicale de Lyon, musicographe et musicologue militant, vient de la réa-liser d’une autre manière avec l’assis-tance de M. Gabriel Bender et du Guide du Concert. A l’enseigne lumineuse de la Musique vivante, M. Vallas a inauguré, au mois d’octobre dernier, des réunions hebdomadaires auxquelles il convie les musiciens d’aspirations ou de métier. La con-ception en est aussi originale que féconde. Après avoir, en quelques allusions à l’histoire de la musique appelé sur ses travaux la bénédic-tion des ancêtres, M. Vallas examine sommairement les événements de la semaine musicale, et les œuvre nouveau-nées, laissant la parole aux auteurs eux-mêmes, quand ils ne répugnent pas à une confession publique. Enfin — et c’est la trouvaille de M. Vallas — s’ouvre un meeting en miniature, où la discussion des problèmes les plus divers suscite, sans nuls ménagements diplomatiques, de libres controverses. On y dispute avec la même ardeur sur les causes et les caractères de l’évolution de M. Strawinsky, ou sur la nécessité de reléguer dans le Musée des horreurs l’Absence regrettable de Berlioz, dont le titre est une sorte d’implicite aveu, ou la Prière d’une Vierge qui, d’ailleurs, a mal fini, il y a quelques années, à la Lune rousse avec la Méthode Car-pentier. Mais M. Vallas, qui m’a paru l’ignorer, était alors plus près de Fourvières que de Montmartre. Les droits d’auteur, l’enseignement du chant, l’invasion pangermanique dans l’opéra français, un procédé nouveau de notation musicale, le jazz, le cas Tchaikowsky et jusqu’à la vocation tardive de la scie promue soprano dramatique, autant de ques-tions latentes que la curiosité de M. Vallas a fait surgir et qui réveillent chez l’auditeur le plus pacifique un petit goût de bataille. Polémiste naguère fougueux et redoutable par sa sincérité, M. Vallas est le plus courtois des hôtes. Avec une érudition invul-nérable, une souple dialectique, un esprit alerte, une ondoyante ironie, avec cette autorité prési-dentielle qui est un attribut essentiellement lyonnais, il mène le jeu, soit qu’il affronte, sur la rive gauche, les universitaires soupçonneux, soit qu’il évangélise, à l’Hôtel Majestic, les élégances du xvie arrondisement qu’en une apostrophe célèbre, M. Schmitt à la première représentation du Sacre du Printemps, stigma-tisa. M. Vallas a révélé à eux-mêmes des orateurs et des esthètes qui s’ignoraient. Je ne dis pas des musiciens, ce qui serait beaucoup moins inoffensif. La musique ne doit donc à M. Vallas que des actions de grâces. M. Boschot, historiographe éminent de Berlioz et journaliste, déplore quelquefois l’indifférence actuelle en matière de con-troverses esthétiques. M. Boschot, qui a vécu une vie seconde et majeure dans le romantisme, subit, je crois, le mirage du passé. Non moins que les combats « homé-t must 91i e •ce 44 1- riques », la bataille de Hernani a cru, sans doute, dans notre imagi-nation, comme le carré du temps. Au seuil de 1914, les premières soirées du Sacre du Printemps furent extrêmement chaudes. N’est-ce pas M. Schmitt encore — et je le dis à son honneur — qui échangea des horions à propos de M. Schoenberg avec un amateur insuffisamment éclairé ? Et M. Darius Milhaud porte, d’un coeur vraisemblablement léger, la responsabilité de quelques échauffourées. Non certes 1 Ni l’en-thousiasme, ni l’indignation, ni leurs fureurs ne sont morts, j’en atteste les « mouvements divers » et les manifestations tumultueuses qui ont accueilli, dans le sanctuaire autrefois paisible et nuptial de l’Opéra-Comique, L’Enfant et les Sortilèges de Mme Colette et de Maurice Ravel, Manifestations, en somme, naturelles. L’abonnement à nos théâtres subventionnés satisfait moins souvent un appétit intellec-tuel qu’une exigence du protocole mondain. L’heure n’est pas encore venue, hélas ! où les spectateurs de nos scènes lyriques devront pré-senter au contrôle un certificat de stage dans les Sociétés de préparation musicale, comme la Société nationale ou la Société indépendante et justifier de leur assiduité aux concerts petits ou grands. C’est la fable éternelle du lièvre et de la tortue. Le dilettante musard qui prétend rejoindre, en quelques bonds, un « créateur » au terme d’une longue et laborieuse évolution, émet une prétention singulière. Il est audacieux d’affronter l’Enfant et les Sortilèges, si l’on ignore Ma mère l’Ove, l’Heure espagnole, Daphnis et Chloé, la Valse ou le duo pour violon et violoncelle. Je ne puis me laisser entraîner ici à discuter sur l’opportu-nité de la collaboration de Colette et de Maurice Ravel, sur les affinités de cette sensibilité fervente avec cette lumière froide. Je rappelle, en passant, que M. Maurice Boucher a consacré à l’Enfant et les Sortilèges une judicieuse et sympathique étude dans l’Avenir. Et M. Roland Manuel, qui a vu maintes fois M. Ravel « en pantoufles », a tenté avec une rare finesse d’analyse, dans la Revue musieale et dans la Revue Pleyel d’élucider son cas. En dehors de toute critique historique ou psycholo-gique et au point de vue phénomène stricte-ment musical, je ne crois pas que cette divi-nation du langage sonore, qui est chez M. Ravel un don primordial, se soit jamais révélée avec plus d’éclat. Jamais une expres-sion plus dépouillée n’a suscité une impres-sion plus précise et plus vive. Dépouillée ! Dirai-je : simple, dans le sens où la simplicité — de même que la blancheur rassemble les sept couleurs du prisme —est un miracle de synthèse ? Anatomiste, biologiste incomparable, Maurice Ravel isole le filet nerveux imperceptible, la cellule primitive et il y découvre le secret de la vie. Et l’on songe au Fauré de Diane Séléné ou de Danseuse, plus loin à Mozart, ailleurs à Racine. Et l’on se demande avec un sourire, si les siffleurs ingénus de la Salle Favart n’ont point injurié, tout simplement, le plus pur esprit du classicisme contemporain ? // / Paul LOCARD